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101 artistes se tirent dans le pied

Dans une lettre adressée au Devoir, 101 artistes, dont Édouard Lock, Janine Sutto et Xavier Dolan, ont souligné l’apport de Pierre Karl Péladeau, actionnaire principal de Québecor, à la culture québécoise. Il serait réducteur de penser que ces artistes ont été fortement encouragés à appuyer le politicien par intérêt, sous prétexte que Québecor aurait pratiquement droit de vie ou de mort sur la carrière de certains d’entre eux. Les signataires ont probablement tous leurs raisons personnelles, sincères et valables, d’appuyer le candidat à la chefferie du PQ. Nous pourrions d’ailleurs faire la – longue – nomenclature de tous les artistes près de Québecor qui n’ont PAS signé la lettre.

Il est vrai que l’apport de PKP à la culture québécoise est notable. Éléphant, une valorisation de la mémoire cinématographique québécoise entièrement financée par Québecor, en est un symbole fort. J’aimerais toutefois souligner un passage de la lettre concernant ce projet pour bien mesurer ce que ces artistes ont décidé d’appuyer en la signant : «En France, c’est essentiellement l’État qui joue ce rôle.»

Cette phrase nous rappelle qu’il devrait incomber à l’État de préserver le patrimoine culturel, pas à des intérêts privés. En général, le mécénat comme la philanthropie ont deux effets. Premièrement, ils permettent à des intérêts privés, par l’allègement fiscal qu’ils procurent, de décider, au lieu des représentants élus de l’État, où devrait aller l’argent. Autrement dit, plutôt que de payer un impôt qui sera redistribué selon les intérêts du peuple tels que conçus par les élus, les «privés» prennent une partie de cet impôt pour financer ce qui, selon eux, est important. D’ailleurs, la Caisse de dépôt et placement ayant investi 3 G$ dans Québecor, quand Québecor donne aux artistes, c’est un peu comme si la société québécoise redonnait à la société québécoise, mais selon les termes d’un seul homme. Bien qu’elles puissent accuser ce déficit démocratique, les causes appuyées par les mécènes sont habituellement nobles. Seulement, ce phénomène entraîne le deuxième effet susmentionné : le désengagement de l’État dans ce qui devrait être important.

Compte tenu de tout ça, on peut considérer que l’apport de PKP à la culture québécoise est louable… et semblable à ce que fait une usine de ciment lorsqu’elle s’achète des crédits carbone. Surtout, ça ne dit pas si, une fois au pouvoir, un tel mécène voudrait que l’État prenne ses responsabilités en matière de soutien à la culture. On peut en douter.

Pendant que l’homme d’affaires donnait généreusement à l’Usine C, à Sibyllines ou aux Correspondances d’Eastman, plusieurs scribes tartinaient dans ses médias un certain discours voulant que les artistes soient des BS de luxe maintenus en vie artificiellement par nos taxes. Ça ne veut pas dire que leur patron pense de même. Toutefois, le mécénat participe en quelque sorte à cette idéologie en soumettant le sort des artistes au bon vouloir des donateurs. À ce titre, il y a fort à parier qu’une personne comme Nathalie Elgrably-Lévy, pourfendeuse des artistes vivant aux crochets de l’État, n’aurait eu aucun mal à signer cette lettre.

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