Amir, la désobéissance et les moulins à vent

Photo: Jacques Boissinot / La Presse Canadienne

J’aime Amir Khadir. Je l’admire, même.

Je crois que Québec solidaire est essentiel dans le paysage politique québécois. J’aimerais que le parti ait plus de députés à l’Assemblée nationale, et je crois qu’il le mérite (une proportionnelle au plus sacrant, s’il-vous-plait!). Cette formation politique accomplit un travail formidablement efficace malgré une équipe réduite et des moyens limités, ayant notamment exposé des dons suspects à des partis politiques par des employés de firmes de génie-conseil, dons qui ont mené à des dizaines de constats d’infraction à la loi électorale.

Je doute que Québec solidaire soit prêt à prendre le pouvoir, mais je prendrais bien une dizaine de députés de plus aux côtés d’Amir Khadir, que tous les autres se sentent un peu plus surveillés. Enfin, à défaut de partager toutes les idées de Québec solidaire, je me reconnais dans leurs idéaux.

Bref, aux dernières élections, si j’avais résidé dans Mercier, j’aurais probablement voté pour Amir Khadir (oui, même si je suis favorable à la hausse des droits de scolarité). Je précise avant qu’on vienne me traiter de sous-fifre du grand capital pour ce qui va suivre.

La « désobéissance civile » que prône l’unique député de QS est une erreur.

D’abord, par sa grandiloquence et la comparaison de son combat à ceux de Martin Luther King et Ghandi. Le Québec d’aujourd’hui, même s’il a sa part de problèmes, n’est pas le sud des États-Unis dans les années 50, encore moins l’Inde coloniale. S’il vivait aujourd’hui, Gandhi pourrait tout bonnement tenter de se faire élire. Il y arriverait probablement.

Alors qu’à leur époque ils avaient à se battre pour une simple place dans un autobus ou un restaurant, Rosa Parks ou Martin Luther King pourraient eux aussi aspirer à diriger leur pays aujourd’hui. D’ailleurs, un certain Barack Obama a été élu à la présidence américaine il y a quatre ans…

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Au Québec, on peut traiter le premier ministre d’imbécile sans se faire inquiéter. À part les députés libéraux, n’importe qui peut critiquer monsieur Charest sur n’importe quelle tribune, et plusieurs le font quotidiennement (à ceux qui comparent le gouvernement libéral au régime Poutine ces jours-ci, vous essayerez ça en Russie et vous m’en reparlerez).

Le député et législateur Khadir commet aussi une erreur de jugement en invitant les gens à défier les lois qu’ils estiment injustes. Le principe est juste, mais il ne doit s’appliquer que dans des cas absolument exceptionnels, où le gouvernement commet des gestes graves et répétés, et où aucune autre alternative n’est possible. On est assez loin de ça :

  • La loi est temporaire;
  • Elle pourrait être combattue et invalidée par les tribunaux;
  • Le Parti libéral pourrait être battu aux prochaines élections (les chances seraient meilleures si les trois formations souverainistes collaboraient);
  • Plus simplement, il n’y a qu’à fournir le damné itinéraire aux policiers et mettre ses énergies ailleurs, plutôt que de jouer à l’entêté et donner raison aux tenants de la loi et l’ordre, et ainsi pousser une partie de la majorité silencieuse vers les libéraux, que les carrés rouges veulent voir renversés.

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En invitant les gens à désobéir à une mauvaise loi temporaire, Amir Khadir risque fort de causer plus de dommages à long terme que celui somme toute modéré qu’il cherche à enrayer. Déjà que la confiance envers les institutions est passablement amochée.

Par exemple, quel message envoie-t-il à la communauté anglophone, dont plusieurs membres digèrent encore difficilement la Loi 101?

Quel message envoie-t-il en ce qui a trait à un éventuel autre référendum sur la souveraineté, dont le résultat, quel qu’il soit, ne manquerait pas de faire de très nombreux mécontents?

De façon plus immédiate et terre-à-terre, quel message envoie-t-il aux milliers de Québécois qui peinent à avoir accès aux services soi-disant universels fournis par l’État, des soins de santé aux places en garderies subventionnées? Ces contribuables ont-ils un « devoir de résistance » devant de telles injustices? Doivent-ils retenir leurs impôts?

Québec solidaire aspire à prendre un jour le pouvoir. S’il remporte des élections générales, le programme du parti pourrait apparaître passablement radical pour ceux qui ne l’auront pas appuyé. Devront-ils désobéir à la loi si leur conscience le dicte?

Ce serait la fin de la démocratie, et le début de quelque chose de passablement inquiétant.

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Amir Khadir a un capital de sympathie énorme dans la population. Plusieurs sondages l’ont déjà démontré. Mais il est également certain que ses emportements occasionnels, en paroles ou en gestes, peuvent faire réfléchir des gens tentés par le parti qu’il représente. Un député qui lance des souliers, qui invite au boycott d’un petit commerce ou qui se fait arrêter dans une manifestation, ce n’est pas banal.

Les Québécois sont généralement modérés. Il est probable que la majorité d’entre eux trouvent que le visage le plus visible de Québec solidaire est parfois un peu… intense.

Présentement, l’effet le plus prévisible des frasques du député de Mercier est qu’elles dissuaderont des électeurs modérés de voter pour son parti et le condamneront à la marginalité. Ce serait dommage, et c’est la raison pour laquelle Amir Khadir devrait mieux choisir ses combats.

Il a raison lorsqu’il dit souhaiter que son arrestation presque simultanée à celle de sa fille soit une simple coïncidence. Le contraire serait en effet troublant. Mais ça fait déjà quelques fois que le député évoque le complot, policier ou autre. Le Québec n’est pas l’Iran.

Et lorsqu’il évoque la mémoire du Martin Luther King et Ghandi, Amir Khadir risque plutôt de se faire comparer à un autre personnage célèbre, fictif celui-là, et qui s’en prenait aux moulins à vent…

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« Je suis sûr que tous ces gens qui tapent de la casserole tous les soirs dans la rue s’attendent aussi qu’un jour la police va débarquer chez eux parce qu’ils ont désobéi à la loi 78 », disait hier Nima Machouf, la conjointe d’Amir Khadir, en commentant l’arrestation du député et de sa fille.

Manifestement, chez les Khadir, Amir n’est pas le seul à verser dans l’hyperbole. Revenez parmi nous…

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