Entre les travaux de l’échangeur Turcot, du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, de la Métropolitaine, et les chantiers de la Ville de Montréal, des arrondissements, des entrepreneurs privés, les automobilistes de la métropole devront prendre leur mal en patience au courant des 10 prochaines années.
Ces nombreux chantiers auront un impact considérable sur la réalité des usagers du réseau routier, anticipe Yves Desautels, chroniqueur à la circulation. «Pour l’échangeur Turcot, il reste encore un ou deux ans. Ça a été mené tout de même assez rondement, fait-il savoir. Ça a causé des problèmes, mais moins que je pensais.»
Si les travaux de l’échangeur routier se terminent sous peu, ce sont les utilisateurs du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine qui se buteront à des bouchons de circulation interminables pendant les quatre prochaines années. «Ça va faire très mal, parce que c’est le lien principal entre la Rive-Sud et Montréal», mentionne M. Desautels.
Il ajoute que les fermetures importantes auront lieu en 2021 et 2022 et qu’elles toucheront surtout les habitants de l’est de Montréal. «En ce moment, c’est déjà très difficile alors qu’il n’y a pas de travaux, donc jusqu’en 2024, ça va certainement causer de grosses congestions dans le bout de la 25 et des Galeries d’Anjou», indique l’expert en circulation.
Et voilà que la Ville annonce un important chantier de réfection de la partie surélevée de la métropolitaine.
«Ce ne sera pas la catastrophe, nuance Gérard Beaudet, urbaniste et professeur à l’Université de Montréal. La 30 sur la rive sud est bouclée et offre une alternative.» Cette route constituera une voie de contournement pour les poids lourds notamment.
Par ailleurs, pour réduire la pression sur cette artère, il faudrait trouver des alternatives pour éviter le centre de l’île. «Si on pouvait rejoindre la 640 plus rapidement, cela permettrait de contourner la ville», plaide Danielle Pilette, urbaniste et professeure à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
«Les voitures pourront toujours se faufiler dans les artères en ville durant les travaux», convient pour sa part M. Beaudet.
Yves Desautels demeure aussi optimiste pour la suite des choses. Bien qu’il y aura toujours de la construction à Montréal, il estime qu’en 2030, tout ira mieux étant donné que les plus importants chantiers seront terminés.
Montréal en chantier
Les automobilistes doivent tout de même s’attendre à bien des fermetures de rues au courant des prochaines années.
Selon le responsable des infrastructures du réseau routier au comité exécutif de la Ville de Montréal, Sylvain Ouellet, Montréal a un gros rattrapage à faire étant donné que depuis des décennies, les administrations successives ont négligé les travaux et les réparations. Par conséquent, chaque année lors de la période estivale, la ville devient un véritable labyrinthe et un festival des cônes orange.
«En 2002, pour l’ensemble de l’île de Montréal, on investissait 20 millions de dollars par année dans tout le réseau d’aqueducs et d’égouts. C’est un chiffre qui est complètement ridicule. Alors que là, on parle d’actifs de centaines de milliards.» -Sylvain Ouellet, responsable des infrastructures du réseau routier au comité exécutif de la Ville de Montréal
Selon M. Ouellet, ce retard pourrait prendre plusieurs années à rattraper, surtout au niveau des infrastructures souterraines. «On ne peut pas régler en quelques années quasiment quatre décennies d’incurie», affirme-t-il.
Il faudra donc être patient étant donné qu’il est difficile d’investir plus. «En 2019, on a atteint un plateau de ce qu’il était possible de faire, pense-t-il. On a atteint un niveau de croisière jamais vu auparavant avec un PTI 2019-2021 dans les infrastructures de l’eau et les infrastructures routières de deux milliards par année.»
Il ajoute que la situation ne peut alors qu’aller en s’améliorant si on continue d’investir d’aussi gros montants. «On voit déjà une différence», indique-t-il. L’année dernière, 41 % du réseau artériel avait une cote «excellent». C’était à peine 20% en 2015.
Des experts moins optimistes
Deux experts interrogés ne sont pas du même avis. Selon eux, la condition des chaussées et des artères devrait soit rester stable ou se détériorer, disent-ils.
Le directeur du Laboratoire sur les chaussées et matériaux bitumineux de l’École de technologie supérieure (ÉTS), Alan Carter, prédit que les budgets destinés à l’entretien des routes vont soit rester les mêmes, soit être coupés d’ici 10 ans.
Même son de cloche du côté de l’ingénieur et professeur au Département de génie civil de l’Université Laval, Guy Doré. «À moins que les administrations publiques et le gouvernement se mettent à investir massivement et augmentent considérablement leurs investissements [ce qui n’arrivera pas], l’état des routes n’ira pas en s’améliorant», émet-il.
«Plus on attend, plus les coûts augmentent et étant donné que les budgets n’augmentent pas nécessairement, on va arriver avec de moins en moins de routes en bon état de toute façon», soutient M. Carter.
De son côté, le Ministère des Transports (MTQ) estime qu’il est difficile de prévoir l’état du réseau sur de longues périodes.
Mais selon les données du plus récent rapport annuel de gestion du ministère des Transports du Québec (MTQ) pour 2017-2018, la proportion des chaussées du réseau routier provincial qui sont en bon état est en baisse constante depuis 2014, malgré des dépenses annuelles de plus de 2 milliards consacrées à l’entretien et à l’amélioration des routes.
D’autres facteurs à considérer
Un autre facteur empêchant que l’état des routes aille en progressant est la banalisation de la science de la construction d’une route, évoque Guy Doré. «Les gens ne réalisent pas vraiment l’importance de faire un bon travail quand on fait une conception et une construction de route, pense le professeur. On fait comme on a toujours fait, même s’il y avait des choses à améliorer.»
L’ingénieur Alan Carter est du même avis. Selon lui, le domaine de la construction est majoritairement réfractaire au changement. «Il y a toujours plein d’entreprises qui veulent essayer des trucs, mais la solution facile, c’est de faire ce qu’on est habitués de faire.»
Au lieu de faire du préventif, Montréal dépense beaucoup plus pour faire du curatif bien après la date nécessaire à laquelle il aurait fallu intervenir. «Si on était intervenu dès que la route commence à se fissurer, on aurait empêché le développement d’autres problèmes, explique M. Doré. On aurait pu juste intervenir en réparant la surface, tandis que si on n’intervient pas, on risque, 10 ans plus tard, de devoir refaire la route au complet.»
Finalement, deux autres facteurs inévitables de la détérioration de la route sont le climat et le nombre de véhicules qui continue d’augmenter. Le gel soulève la route, la fissure et cause des distorsions de sa surface. «Le froid et le gel combiné au trafic donnent un résultat qui est plus que la somme des trois, car il y a une interaction entre chacun des phénomènes», précise M. Doré.