Selon des projections du ministère de la Sécurité publique, les autorités carcérales devront encore jongler avec le placement de ses détenus durant les dix prochaines années dans la région de Montréal, en raison notamment du manque de places dans la prison de Rivière-des-Prairies.
L’analyse publiée début janvier anticipe la population moyenne quotidienne des prisons de la province pour la prochaine décennie. Cette démarche vise «à s’assurer que les infrastructures carcérales répondent aux besoins actuels et futurs des personnes prévenues ou condamnées», notamment en matière d’hébergement.
Dans le meilleur des scénarios, l’établissement de détention de Rivière-des-Prairies afficherait un manque de 179 places en 2028. Dans le pire des cas, la pénurie serait de 379 places.
L’établissement serait donc confronté hypothétiquement à des taux d’occupation allant de 133% à 170%.
Le ministère de la Sécurité publique (MSP) se veut toutefois rassurant. Pour éviter cette situation, des prévenus et des détenus de Rivière-des-Prairies seront tout simplement transférés vers d’autres centres de détention, comme l’Établissement de détention de Montréal, mieux connu sous le nom de Bordeaux. Une pratique déjà courante.
En 2028, le MSP prévoit un surplus de 595 à 616 places à l’Établissement de détention de Montréal.
«En conséquence, si ces prévisions s’avèrent, il y aurait un surplus de places et non un manque de places pour hommes dans la région de Montréal», indique dans un courriel, Louise Quintin, relationniste au MSP.
Cette solution avancée par le MSP contredit toutefois l’un des objectifs énumérés dans son propre plan stratégique 2019-2023. On peut y lire que le Ministère souhaite «diminuer le nombre de transferts entre les établissements de détention» afin «d’améliorer les conditions de détention et de stabiliser la population carcérale».
Une contradiction qualifiée de «ridicule» par Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels au Québec.
Surpeuplé depuis longtemps
Depuis plus de dix ans, l’établissement de détention de Rivière-des-Prairies affiche des taux annuels d’occupation oscillants entre 103% et 114%, selon des documents du Ministère. S’il est aussi bondé, c’est principalement dû à l’augmentation du nombre d’hommes placés en détention préventive durant leur procès.
Mathieu Lavoie soutient que pour pallier le manque d’espace, «l’occupation double des cellules» est courante depuis 15 ans. La prison serait devenue une «poudrière explosive» dont les conditions d’incarcération favorisent «l’augmentation des altercations et des interventions».
De 2016 à 2018, le nombres d’événements allant de l’usage d’une arme de service à la détention illégale au sein de l’établissement de Rivière-des-Prairies a augmenté de 16%.
La situation actuelle occasionne de «nombreux problèmes comme une hausse de la violence, de la tension entre détenus ainsi qu’entre les détenus et les agents de la paix, mais aussi entre les agents eux-mêmes», explique Lucie Lemonde, professeure en sciences juridiques à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), notamment spécialisée en droit carcéral.
Maria Mourani, criminologue et ancienne députée fédérale de la circonscription d’Ahuntsic, abonde dans le même sens et soutient que cela «facilite [aussi] le trafic de drogue».
Utiliser d’autres moyens que la détention préventive
Lucie Lemonde explique qu’il y a eu une «augmentation des personnes incarcérées en attente de procès depuis [le gouvernement conservateur de Stephen Harper], ce qui a causé une surpopulation, notamment à Rivière-des-Prairies».
«Les lois sont faites à Ottawa sans faire d’analyses sur les répercussions que cela a dans les provinces», ajoute Maria Mourani.
Les deux expertes estiment qu’il faut trouver d’autres peines que l’incarcération lorsqu’il est question de délits mineurs. Il faudrait aussi favoriser l’attente de procès à l’extérieur des établissements de détention.
«En Allemagne, ils n’ont pas le droit de donner des courtes peines de six mois et moins, relève Mme Lemonde. Si on enlève les six mois et moins, ça viderait j’imagine, 80% [de la population] des prisons».
Maria Mourani cite le cas de la Norvège. «La surpopulation là-bas n’existe pas; pour certains petits délits avec certaines petites sentences, la personne attend chez elle que la prison se libère», explique-t-elle.
La criminologue reconnaît toutefois que le Québec a une approche axée sur la réhabilitation. Toutefois, elle estime qu’il reste encore beaucoup de choses à faire, notamment pour faire changer les mentalités.
Taux à Rivière-des-Prairies et Bordeaux
- Rivière-des-Prairies
Taux d’occupation actuel : 103%
Nombre de places : 541
Nombre de personnes incarcérées : 556
- Bordeaux
Taux d’occupation actuel : 92,5%
Nombre de places : 1402
Nombre de personnes incarcérées : 1298
Détention de proximité
Les projections de l’analyse prospective de la population carcérale des établissements de détention du Québec se basent sur la répartition théorique de la population carcérale. Celle-ci est elle-même fondée sur le principe de détention de proximité. Ceci veut que les personnes incarcérées soient placées dans la prison située le plus près de leur lieu de résidence ou du lieu où se tient leur procès. La surpopulation serait intenable à Rivière-des-Prairies, si ce principe était respecté.