Le «manque de leadership politique» de la Ville de Montréal dans la lutte contre le VIH/SIDA pourrait causer une hausse des nouvelles infections dans la métropole. C’est ce que dénonce le milieu communautaire, alors que plus de la moitié des cas de la province y sont répertoriés (59,6%).
Le président du conseil d’administration de la COCQ-SIDA, Guy Gagnon, est inquiet du désengagement de la Ville dans le projet Montréal Ville Sans Sida. Devant la situation, la Table des organismes communautaires montréalais de lutte contre le VIH/Sida (TOMS) s’est retirée du projet, qu’elle co-présidait pourtant.
Quelle ville ne vise pas à débarrasser la population des contaminations au VIH? C’est étonnant. Concrètement, ce que ça peut amener, c’est une résurgence des contaminations et que la courbe des contaminations reparte à la hausse.
Guy Gagnon, président du conseil d’administration de la COCQ-SIDA
Le projet Montréal Ville Sans Sida a vu le jour en 2017 après que la mairesse de Montréal Valérie Plante ait signé de sa propre main la Déclaration de Paris initiée par l’ONUSIDA.
Auparavant, le communautaire co-présidait le projet avec la Direction régionale de santé publique de Montréal (DRSP) et la Ville de Montréal. Leur objectif, commun aux Villes sans Sida (Fast-Track Cities) à travers le monde, était alors d’éradiquer l’épidémie d’ici 2030 en mobilisant les maires et mairesses des grandes villes.
Le TOMS a quitté le projet après plusieurs mois de négociations non fructueuses pour que la Ville de Montréal signe la dernière version des objectifs de l’ONUSIDA. Publiés en 2020, il s’agit de cibles à atteindre d’ici 2025 pour pouvoir éradiquer l’épidémie à l’horizon de 2030.
La Ville n’aurait signé aucune des versions mises à jour de la Déclaration de Paris depuis 2017, explique la présidente de la TOMS, Sandra Wesley.
«Ça faisait depuis décembre 2021 que la TOMS avait émis une sorte d’ultimatum à la Ville, disant qu’il fallait s’engager et signer les nouveaux objectifs de l’ONUSIDA et que c’était essentiel pour continuer, dit-elle. On s’est fait dire [par la Ville à la mi-janvier]: « arrêtez de nous poser des questions sur la signature, là clairement vous avez votre réponse, ce n’est pas pertinent cette question et il faut passer à autre chose.»
Pour Guy Gagnon, une telle situation n’aurait jamais eu lieu si la Ville de Montréal avait fait preuve de plus de leadership dans ce dossier. «C’est la poule ou l’œuf: si Montréal avait adhéré aux objectifs de l’ONUSIDA, certainement que le milieu communautaire serait encore là», dit-il.
«Si à la base, on n’a pas une mairesse qui est capable de dire: ‘Moi je suis d’accord avec les objectifs de l’ONUSIDA pour la lutte contre le VIH et tout ce qu’ils impliquent’, et bien on n’a vraiment rien sur lequel travailler», explique Sandra Wesley.
Son dernier échange avec la Ville aurait porté sur le renouvellement du site internet de Montréal Sans Sida qui arrivait à échéance. La Ville lui aurait alors tout bonnement répondu de fermer le site internet. Le site n’avait pas été mis à jour depuis plusieurs années.
Tout le monde se rend compte qu’il faut qu’il y ait des choses qui changent, car sinon, non seulement on ne va pas atteindre ces objectifs-là, mais on voir une remonter du VIH comme on voit déjà dans certaines communautés et partout dans le monde dans certains milieux.
Sandra Wesley, présidente de la TOMS
À la mi-décembre, le directeur régional pour l’Amérique du Nord des Fast-Track Cities, serait «venu d’urgence» à Montréal, explique Sandra Wesley. Sa mission aurait alors été de mobiliser la Ville de Montréal, en vain.
L’été dernier, la métropole accueillait la conférence internationale sur le SIDA, l’absence à cet événement de grande ampleur de la mairesse Plante et du ministre de la Santé et des services sociaux, Christian Dubé a laissé un goût amer au milieu communautaire.
«Il a eu un certain temps où on avait peut-être plus d’optimisme, où on se disait qu’on avançait, mais avec Montréal Sans Sida et la conférence internationale de l’été dernier, ces incidents ont ramené tout le monde au fait qu’il n’y a rien qui est gagné et que nos communautés sont encore marginalisées», explique Sandra Wesley.
L’inquiétude d’une hausse des infections
Pour Sandra Wesley, la non-adhésion aux objectifs de l’ONUSIDA pourrait mener les infections à la hausse. Une augmentation d’autant plus crainte, alors que la pandémie a considérablement impacté la lutte contre le VIH/SIDA.
L’offre et le recours au dépistage a été réduit pendant la pandémie, a noté l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) lors d’un webinaire à l’automne 2022. En 2020, le nombre de tests de dépistage effectués a chuté de 18%, pour remonter ensuite de 4,7 % en 2021, égalant les chiffres de l’année 2016. Une «proportion importante» de personnes vivants avec le VIH ont été diagnostiquées tardivement. Ces diagnostics tardifs ont presque doublé en 2021.
Face à un tel constat, le milieu communautaire s’inquiète, car derrière ces diagnostics tardifs, ce sont des personnes qui sont à risque de complications de santé, mais aussi d’avoir transmis sans le savoir le virus à d’autres personnes.
Il faudra attendre encore quelques années avant de constater réellement les conséquences de la pandémie sur la surveillance du VIH selon l’INSPQ. Cependant, le taux de positivité des tests serait resté stable.
En 2021, la DRSP de Montréal a observé une «remontée post pandémique» chez les hommes. Au total, 139 cas nouvellement diagnostiqués ont été reportés cette même année, dont 114 chez des hommes montréalais.
Statu quo à Montréal
L’administration Plante réitère avoir été «prise par surprise» lors de l’annonce du retrait de la TOMS. La porte est ouverte si le communautaire souhaite revenir dans le projet.
Questionnée sur les ressources mises en place pour Montréal Ville Sans Sida, l’administration Plante explique que ce n’est qu’en mai 2021, soit quatre ans après la signature de la Déclaration de Paris, qu’elle a embauché une «ressource professionnelle» dédiée au projet Montréal Sans Sida. Cette ressource aurait alors reçu comme mandat de «suivre l’avancement du projet avec les partenaires internes et externes».
L’élue responsable de la diversité et de l’inclusion sociale au comité exécutif, Josefina Blanco, reconnaît que la pandémie a «beaucoup ralenti les travaux et le fait que les parties prenantes se soient assises pour convenir des prochaines étapes». Elle réitère toutefois l’engagement de la Ville dans la lutte contre le VIH malgré des conditions qui empêchent la signature des nouveaux objectifs de l’ONUSIDA.
Une condition essentielle de la réussite pour la signature des objectifs est que le communautaire soit à la table, si le communautaire n’est pas à la table et si ces conditions ne sont pas réunies, on n’est pas dans des conditions qui sont favorables pour aller de l’avant.
Josefina Blanco, élue responsable de la diversité et de l’inclusion sociale au comité exécutif
Selon Josefina Blanco, des échanges seraient en cours avec la DRSP pour «regarder les options» disponibles. «On est en réflexion avec la DRSP pour voir concrètement comment vont se poursuivre les actions en collaboration et complémentarité selon les rôles et responsabilités de chacune des parties», explique l’élue.
Mais pour Guy Gagnon, les arguments avancés par la Ville sont «un peu un prétexte que l’on prend».
Le porte-parole de l’opposition officielle en matière de développement économique, Julien Hénault-Ratelle a appelé l’administration Plante à agir davantage sur ce dossier.
«En 2017, Montréal a été la première grande ville qui a adhéré à la déclaration, on voit un peu de tergiversation de la part de l’administration sur le sujet, a-t-il alors déclaré lors d’un point presse à l’hôtel de ville. Je pense que c’est vraiment nécessaire que la Ville de Montréal se penche sur la situation et analyse en profondeur son renouvellement et règle l’adhésion à la Déclaration pour justement envoyer un signal fort de son combat face à la lutte au VIH.»
Pendant son voyage en Europe en avril dernier, la mairesse Plante a rendu visite à son homologue parisienne, Anne Hidalgo, qui était à l’origine de la Déclaration de Paris pour le déploiement des Villes sans SIDA. Questionnée au sujet de cette rencontre, Valérie Plante a répondu que le sujet n’avait pas été abordé.
«Il y avait plusieurs sujets, on a essentiellement parlé de transition écologique, de la place de la langue française dans nos métropoles, de verdissement, d’habitation, on a parlé de la protection des berges mais ce n’était pas à l’ordre du jour, mais je vais le noter pour la prochaine fois», a-t-elle rétorqué.
Questionnée à plusieurs reprises sur son intention ou non de signer les plus récents objectifs de l’ONUSIDA, la mairesse Plante a préféré ne pas répondre.
De son côté, la DRSP explique avoir effectué un exercice de priorisation à l’automne 2022 pour «cibler les actions prioritaires à mettre de l’avant». Ces dernières se retrouveront dans la mise à jour du Plan d’action régional intégré 2023-2025 (PARI) qui sera lancé à la mi-juin.