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Pas de cagoule dans mon «étobus»

Pire que l’incompétence, l’hypocrisie politicienne me tue. Imaginez quand les deux sont regroupées. L’impression de se faire rire en plein visage (découvert), fusionnée avec un aria de mesures autant loufoques qu’incongrues.

Le projet de loi 62 sur la neutralité de l’État, adopté en pleine crise du #moiaussi (un hasard, sûrement) se nage non seulement dans l’hypocrisie la plus primaire, mais constitue également une orgie de faux-fuyants juridiques.

Une surprise? Oui et non.

Oui, dans l’optique où le Parti libéral du Québec (PLQ) refusait, jusqu’à ce jour, de patauger dans la marre de l’identitaire bon marché. Qu’il semblait être, ex-æquo avec Québec solidaire, le dépositaire des libertés civiles. Qu’il s’interdisait de casser du sucre sur le dos des minorités religieuses, par exemple. Et qu’est-ce qui provoque ce changement de cap soudain? Les résultats dans Louis-Hébert, lesquels sont aussi venus sonner le glas de la Commission sur le racisme et la discrimination systémique? La crainte de la CAQ? Le désir irrépressible d’aller grappiller le vote raciste ou xénophobe, tout ça à un an des élections?

Non, dans le sens où le projet de loi fut piloté par la ministre de la Justice Vallée, probablement la plus faible à ce poste depuis des lustres: cafouillages perpétuels, refus inexpliqués de donner suite au Rapport du Comité consultatif sur le droit de la famille présidé par le professeur Alain Roy, laxisme aux suites de l’arrêt Jordan, improvisation institutionnalisée, absence de quelconque mesure sérieuse quant à l’accès à la justice. La meilleure? Ses parties de jeux vidéo en pleine Assemblée nationale lors d’un débat sur la dernière loi spéciale, dont elle avait pourtant la responsabilité. Indigne de fonction. Et on reste poli.

En ce sens, pas très surprenant d’assister à un tel gâchis. Parce que gâchis il y a.

Une fois sanctionnée par le lieutenant-gouverneur, tout service offert et reçu devra s’effectuer à visage découvert. Pour des raisons de sécurité et de communication, apparemment. En prenant l’autobus ou le métro, par exemple. Ceci vise le niqab et la burqa, mais exclut le voile classique et…le tchador, ce dernier étant apparemment davantage socialement accepté que les deux premiers. Et pourquoi ça? Allez savoir.

Souhaitant probablement se délester d’éventuelles accusations islamophobes, la ministre Vallée explique, candide, que sa loi ne vise aucun vêtement en particulier, ni aucun signe religieux. «C’est pas une charte sur le linge!», a-t-elle lancé, convaincue.

Afin de nous convaincre de sa sincérité, elle enchaîne en précisant que «l’obligation du visage découvert est pour la durée de la prestation de service, pas seulement pour la femme voilée, mais pensons aussi à ceux qui ont le visage couvert […] par des cagoules ou des verres fumés».

Voilà qui est original. Pas une charte sur le linge, donc, mais on prend quand même la peine d’interdire… la cagoule et les verres fumés. Une première, quand même. Parlez-moi d’une priorité étatique. Les vraies affaires, disait le slogan électoral.

Aussi, pour la gouverne de la ministre, une «femme voilée» fait aussi référence au simple voile. En bref, l’océan du n’importe quoi.

Mais ce n’est pas tout. Chaque personne visée par les nouvelles mesures (Corey Hart, par exemple), pourra faire une demande d’accommodement raisonnable. Genre: «Monsieur le chauffeur, fait -1000 celsius, on habite au Québec, bout de ciarge, je peux-tu garder ma cagoule?»

Et comment s’exerceront les demandes en question? «Pour le moment, on n’en est pas là», de nous répondre la ministre. Bonne idée. Attendons plutôt le déluge. Les chauffeurs vont se régaler.

Autre truc comique: les policiers, notamment anti-émeutes. N’offrent-ils pas un service public? Le cas échant, la loi vous ordonne de me matraquer à visage découvert, monsieur le flic….AYOYE!!

***

Confiante en plus, la ministre Vallée nous assure que sa loi passe le test des tribunaux. Pas question ici de limiter les libertés individuelles ou la liberté de religion, clame-t-elle. Plus fort encore: «Nous avons des avis juridiques sur la question.»

HI-PE-LA-YE. Bien hâte de voir ça. Des avis à la sauce Drainville, genre sur une napkin de coin de table? La ministre peut-elle s’engager à les rendre publics? Allez, juste en guise de bonne foi…

Parce qu’à moins d’être un parfait imbécile (chose impossible, la perfection n’étant pas de ce monde), facile de comprendre que la nouvelle loi vise une seule et unique chose: nier des droits aux musulmanes, en passant cette fois par le faux-fuyant de la cagoule et des verres fumés.

Non? Ok. Amusons-nous alors, en quelques lignes, à effectuer le test des tribunaux.

Au premier recours intenté par l’une des 60 femmes portant le niqab ou la burqa au Québec (parle-moi d’un problème de société), tout juge conclura d’emblée qu’il s’agit ici d’une violation de la liberté de religion ou du droit à l’égalité, madame ne pouvant plus bénéficier du transport en commun du fait du port d’un symbole religieux.

On passe ainsi, comme il se doit, à la deuxième étape, soit celle du test de sauvegarde. En d’autres termes, la violation en question est-elle justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique? Quatre critères devront être évalués:

1. L’objectif de la loi est-il réel et urgent?

Euh… Enrayer le port de la cagoule, des lunettes fumées et du niqab pour des raisons de communication et sécurité? Quand, pour la dernière fois, avez-vous pris le temps de piquer une p’tite jasette avec votre chauffeur d’autobus? Et de métro? Suffit pas de passer la carte OPUS et bingo? Et sécurité de quoi? Quand? Où? Anecdotes? Histoires vécues? Un peu plus et la ministre nous sort l’argument de Lisée de la mitraillette sous la burqa…

2) Le lien rationnel

Quel est le lien ici entre la loi et les objectifs de communication et de sécurité annoncés? On cherche encore.

3) L’atteinte minimale au droit atteint

Sachant que les soixante niqabs et burqas du Québec risqueront dorénavant de demeurer à la maison (idéal d’ailleurs pour des fins d’intégration), oublions ça.

4) La proportionnalité

La loi vise-t-elle à assommer une mouche avec un bazooka? Oui. Et encore faudrait-il trouver la mouche….

Alors voilà pour le test des tribunaux, madame la ministre. Mais l’histoire nous le dira. Dans l’intervalle, je compte bien faire une demande d’accommodement raisonnable pour port de verres fumés, ce que j’aime bien. D’autres pourront, pendant ce temps, faire une demande similaire pour conserver leur cagoule. Rien de mieux pour cacher un visage à deux faces…

F_Berard@twitter.com

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