TORONTO — Le nouveau gouvernement progressiste-conservateur de l’Ontario prévoit dépenser jusqu’à 5 millions $ pour indemniser les entreprises qui avaient adhéré au marché commun du carbone adopté par le précédent gouvernement, et qui sera maintenant mis au rancart.
Le ministre ontarien de l’Environnement, Rod Phillips, a déposé mercredi un projet de loi qui établira le cadre juridique pour faire sortir la province du système de plafonnement et d’échange de droits d’émissions de gaz à effet de serre, un marché commun mis sur pied en Amérique du Nord par le Québec et la Californie. Le projet de loi établit aussi les critères pour les entreprises qui veulent être remboursés pour les coûts déjà engagés dans le programme.
Alors que les 272 participants au marché du carbone ontarien ont acheté près de 3 milliards $ en droits d’émissions, M. Phillips a indiqué que seuls seront indemnisés ceux qui ont acheté plus que ce qu’ils utilisaient alors que le programme était encore en vigueur, et qui n’ont pas déjà refilé ces coûts à leurs clients.
Le projet de loi protégerait également la province contre toute poursuite des entreprises, soutient le gouvernement. Certains se demandent toutefois si cette disposition serait validée par les tribunaux.
«Les commentaires que j’ai reçus du milieu des affaires à propos de ce gouvernement sont très positifs, et je n’ai donc pas d’inquiétude à ce sujet, car il s’agit d’un cadre très équitable en matière d’indemnités», a soutenu mercredi le ministre Phillips.
Le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre en imposant des plafonds aux entreprises. Si elles dépassent ces limites, les entreprises doivent acheter des droits d’émissions supplémentaires lors de ventes aux enchères trimestrielles, ou auprès d’entreprises qui n’ont pas dépassé leur plafond et qui peuvent ainsi vendre ces «crédits».
La sortie du marché du carbone était l’une des principales promesses électorales de Doug Ford, au printemps, et l’une des priorités de son gouvernement une fois convoquée l’Assemblée législative pour une séance estivale inhabituelle.
Dès leur élection en juin, les conservateurs avaient déjà pris des mesures pour démanteler le programme provincial de tarification du carbone, notamment la révocation de la réglementation qui encadrait ce régime. Cette décision a provoqué l’annulation d’initiatives vertes financées grâce aux recettes tirées du marché du carbone, comme des rabais aux consommateurs pour certaines rénovations écoénergétiques et un fonds pour la réfection des écoles.
Perte de recettes en vue
Les partis de l’opposition craignent que le gouvernement ontarien ne soit maintenant obligé de verser des milliards de dollars pour indemniser les détenteurs de droits d’émissions. Ils rappellent par ailleurs que le gouvernement Ford n’a pas encore expliqué comment il pourra compenser la perte de recettes tirées de ce système de tarification du carbone. Pendant ce temps, la ministre fédérale de l’Environnement, Catherine McKenna, a exprimé sa déception face à ce qu’elle considère comme une absence de plan ontarien pour lutter contre les changements climatiques.
Les néo-démocrates et les verts ont déclaré mercredi que le projet de loi ne fait rien pour apaiser leurs craintes, même s’il oblige le gouvernement à fixer des objectifs de réduction des émissions et à publier un plan sur les changements climatiques. Le ministre Phillips a déclaré que ces deux mesures seraient précisées plus tard.
«L’Ontario a besoin d’un véritable plan climatique qui impose un juste prix à la pollution, qui met de l’argent dans les poches des citoyens et qui soutient la création d’emplois dans l’économie durable, a soutenu le chef des Verts, Mike Schreiner, dans un communiqué. Au lieu de cela, nous nous lançons en guerre contre le monde moderne, et rien n’indique que les changements climatiques sont à l’ordre du jour du gouvernement conservateur.»
Le gouvernement Ford a soutenu que la sortie du marché du carbone permettrait à chaque ménage ontarien d’épargner en moyenne 260 $ l’an prochain, mais il a reconnu que cette économie serait largement annulée par l’imposition de la taxe fédérale sur le carbone, qui augmentera au fil du temps.
Le porte-parole néo-démocrate en matière d’environnement, Peter Tabuns, a estimé que les contribuables finiraient par payer davantage en raison de potentielles contestations judiciaires du projet de loi, ainsi que la taxe carbone que le gouvernement fédéral imposera aux provinces qui n’auront pas adopté leur propre régime de tarification l’année prochaine.
Le premier ministre Ford a d’ailleurs annoncé la semaine dernière qu’il se joignait à la contestation judiciaire de la Saskatchewan sur les pouvoirs du gouvernement fédéral d’imposer la tarification du carbone aux provinces. Le gouvernement ontarien a prévu de consacrer 30 millions $ sur quatre ans à cette bataille juridique avec Ottawa.
Le Bureau du directeur de la responsabilité financière de l’Ontario — l’équivalent du Directeur parlementaire du budget — a de son côté indiqué mardi qu’à la demande de l’opposition officielle néo-démocrate, il examinerait combien coûtera cette sortie du marché du carbone.