Alors que le gouvernement du Québec doit dévoiler sous peu son plan de déconfinement et de relance de l’économie, la Ligue des droits et libertés (LDL) presse les autorités de cesser de gouverner «par décrets», et d’impliquer la société dans l’exercice, au nom de la démocratie.
«Ce n’est pas de nouvelles lois dont nous avons cruellement besoin, mais bien de plus d’équité, d’inclusivité et de transparence dans la gestion de la crise», martèle la professeure en sciences juridiques de l’UQAM et vice-présidente de la Ligue, Lucie Lamarche. D’après elle, le gouvernement serait facilement en mesure «d’accroître le coefficient démocratique» de certains décrets en sondant l’avis de la population. «Il y a une façon de mettre en œuvre des mesures d’urgences qui ne se limite pas qu’au modèle d’adoption de lois», fait-elle valoir.
«Une relance économique sans prendre en compte nos droits sociaux, c’est en soi une violation des droits. La santé, l’éducation, le logement et le travail, ça doit faire partie de l’équation.» -Lucie Lamarche
Un État de droit
Son collègue Christian Nadeau, qui est professeur de philosophie politique à l’Université de Montréal, abonde dans le même sens. «Il y a une suspension des principes démocratiques à plusieurs niveaux, le premier étant cette gouvernance par décrets. Les décisions sont prises par un nombre très restreint de personnes, et c’est difficile, voire impossible de contre-vérifier ou de débattre», note-t-il.
«Pour les citoyens, ça devient difficile de faire confiance aux autorités, parce que tout relève de leur bon jugement. Même si elles veulent notre bien, leurs décisions demeurent arbitraires.» -Christian Nadeau
M. Nadeau affirme que l’État de droit apparaît «encore plus fondamental» dans la crise actuelle. «C’est un peu comme si on disait aux chiens de garde de retourner dans leurs niches pour qu’on vienne les chercher plus tard. Pourtant, c’est en ce moment qu’il faut débattre pour prendre les meilleures décisions», plaide-t-il.
Surveillance «de masse» au Québec après le déconfinement?
Pour l’experte en défense des droits à la LDL, Alexandra Pierre, la surveillance par géolocalisation que veulent entamer la Sûreté du Québec et le ministère de la Santé est «très inquiétante» pour le respect des droits des Québécois.
«On joue sur notre peur d’être infectés, de rendre nos proches malades ou de rester en confinement encore longtemps. Cependant, ces mesures-là ne vont pas contribuer à faire face au défi de la COVID-19, d’autant plus que les gens respectent largement les mesures au Québec. Je vois mal où est le besoin d’une surveillance plus large.»
Le premier ministre François Legault, lui, est sans équivoque. «Si jamais on fait une utilisation de ces données, ce sera fait avec l’accord de tout le monde. Il y aura protection des données personnelles», a-t-il assuré mardi.
Par ailleurs, le fait donner trop de pouvoirs à un corps policier implique beaucoup de risques selon Alexandra Pierre, notamment en matière de profilage racial. «Il y a des chiffres sur le nombre d’amendes et d’interpellations. Mais on ne sait pas à qui sont données ces amendes», souligne-t-elle.
«L’appareil policier en est un qui est très opaque et qui manque souvent de transparence. On n’a pas besoin de répression en ces temps d’urgence.» -Alexandra Pierre
Une mise à jour économique adaptée?
Pour Lucie Lamarche, la mise à jour économique qui sera bientôt annoncée par les autorités fédérales devra être accompagnée d’une analyse d’impact sur les droits sociaux. «On va être très attentif de notre côté, promet-elle. Ce qu’on veut envoyer comme message, c’est que la crise sanitaire, dans toute sa tristesse et sa douleur, est un révélateur de plusieurs violations de droits sociaux», dit la principale intéressée.
Selon elle, la crise du coronavirus a surtout révélé à quel point les droits des Québécois «ont été mis à mal» dans les dernières décennies
«On savait déjà avant la crise que les CHSLD opéraient sur une glace très mince, ce qui peut porter atteinte au droit à la santé des résidences. On savait aussi que les écoles publiques sont surpeuplées et mal outillées», conclut-elle.