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Mouvements citoyens imposteurs

Une compagnie crée un faux compte Facebook pour faire la promotion de son produit; un groupe d’intérêt met sur pied un mouvement citoyen artificiel pour qu’il fasse du lobbying auprès du gouvernement à sa place. Bienvenue dans le monde de l’astroturfing, une technique de communication inquiétante et très en vogue, selon Sophie Boulay, auteure de Usurpation de l’identité citoyenne dans l’espace public, un livre sur le sujet qui sera lancé mercredi.

Le terme «astroturfing», synonyme de gazon artificiel, est un jeu de mots anglophone sur l’expression «grassroots» (littéralement «racines du gazon»), qui veut dire mouvement citoyen. Comme il n’y a pas d’équivalent en français, Métro propose le néologisme «similitantisme».

Le similitantisme est donc le contraire d’un mouvement citoyen traditionnel, puisque le groupe ou le mouvement issu de l’astroturfing est créé de toutes pièces par une entreprise ou une firme de communications dans le but de faire croire que des membres du public soutiennent sa cause ou son produit.

Pour Sophie Boulay, chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui a fait sa thèse de doctorat sur le sujet, le similitantisme est un phénomène grave, car il s’approprie la confiance du public.

«C’est un leurre, un mensonge, une fraude, lance-t-elle d’entrée de jeu. Ce sont des gens qui se disent: “Si j’essayais de passer un message avec mon propre visage, ça serait mal reçu, ou pas reçu. Donc, comment est-ce que je peux faire pour passer mon message?” La stratégie, c’est de mettre un masque citoyen et de se cacher derrière.»

C’est que la plupart des gens font confiance aux mouvements citoyens, tant pour leur consommation que leur position politique.

«Avant d’acheter une voiture, les gens vont demander à leur beau-frère plutôt que de regarder le Guide de l’auto. Ce n’est pas scientifique comme source, mais on y fait confiance. C’est de ça que se nourrit l’astroturfing», avance-t-elle.

C’est le lien de confiance qu’ont les gens avec des sour­ces d’information citoyennes, qu’ils supposent honnêtes et sans intérêts financiers, qui est exploité. L’émergence des médias sociaux ne fait qu’exacerber le problème, pense Mme Boulay.

«Depuis 15 ans, il y a eu une augmentation massive de ça, parce que la technologie le permet, et parce que les gens ont accès à de l’information de première main, qu’ils considèrent véridique, explique-t-elle. Les gens se méfient moins en lisant Facebook.»

Le similitantisme n’est pas illégal au Québec, mais pose de sérieuses questions éthiques, croit Mme Boulay.

«C’est une des critiques de base de notre société pluraliste: quand tu as plus de ressources, tu as plus de pouvoir. Et cette logique-là s’est approprié ce qu’on croyait être le dernier bastion du pouvoir citoyen, c’est-à-dire la voix citoyenne, juge-t-elle. Le peu d’espace consacré aux mouvements ci­toyens dans les journaux est pris par quelqu’un qui a aussi le pouvoir de faire la une avec un gros lancement ou quelque chose du genre. Qu’est-ce qui reste à la voix citoyenne?»

Selon la chercheuse, il faut mieux encadrer ce genre de pratique. Au Commissariat du lobbyisme du Canada, par exemple, un groupe d’intérêt doit divulguer ses sources de financement.

Il faut aussi que les firmes de communications s’impo­sent un code déontologique qui ne permette pas le similitantisme, et que le gouvernement encourage l’esprit critique dans la population, notamment en développant des cours d’éducation aux médias dès le primaire, conclut Mme Boulay.

Quelques exemples de similitantisme au Canada:

Usurpation de l’identité citoyenne dans l’espace public
Sortie le 11 février
Presses de l’Université du Québec

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