Take This Waltz, c’était d’abord une chanson du grand Leonard Cohen. C’est désormais aussi un film, le second, réalisé par l’émouvante Sarah Polley. Elle nous en parle avec cette sensibilité qui lui est propre.
Depuis bientôt cinq ans Margot (Michelle Williams) est mariée à Lou (Seth Rogen), un chef qui se spécialise dans les recettes de poulet(!). Lors d’un voyage professionnel, la route de Margot croise celle de Daniel (Luke Kirby) un artiste ténébreux qui, comble de malheur, vient tout juste de déménager dans la maison en face du couple.
Avec son mari, la jeune femme a une relation confortable, faite de jeux enfantins, de mots cutes, de sexe sporadique et de petites chicanes. Une vie de couple satisfaisante, sans être particulièrement excitante. Une vie que Margot ne remet pas en question… jusqu’à l’arrivée de cet inconnu. Comment continuer à faire comme si de rien n’était lorsque l’objet de son désir est si proche et si accessible?
Six ans après l’épatant Away from Her, la réalisatrice, scénariste et actrice Sarah Polley, revient une nouvelle fois avec un questionnement poignant sur le dévouement, la fidélité et le désir. Discussion avec une jeune femme des plus inspirantes.
Vous faites un chouette clin d’œil au cinéma québécois dans votre film, lorsque Margot et Lou vont voir Mon oncle Antoine au cinéma!
Voulez-vous entendre une histoire hilarante à ce sujet? On était cachés avec les caméras pour filmer cette scène et on a vu des passants se mettre en ligne pour acheter des billets, car ils croyaient réellement que le cinéma projetait Mon oncle Antoine! Mais le plus drôle c’est qu’un de ces spectateurs enthousiastes était… Atom Egoyan!
Le personnage de Michelle Williams a peur d’avoir peur. Trouvez-vous que c’est la pire des phobies à avoir?
Sous plusieurs aspects, oui. C’est normal d’avoir peur, dans la vie. Après tout, si l’on a peur de rien, on n’accomplit rien! Pourtant, la plupart d’entre nous ne se sentent pas à l’aise avec cette émotion. Elle nous paralyse. On tente de la camoufler, de la fuir et c’est là que ça devient très difficile à vivre.
Ce que j’ai adoré de Take This Waltz, c’est que vous ne donnez pas de bonne réponse. Après l’avoir visionné, on ne sait pas s’il est préférable de céder ou non au désir, s’il vaut mieux quitter ou non une relation stable pour une passion. C’est quelque chose que vous vouliez explorer?
Oui, absolument. Je voulais montrer ce que peut vivre une femme confrontée à cette lutte intérieure. Me demander : «Si quelque chose n’est pas parfait, faut-il forcément le réparer? Si quelque chose semble mal aller, est-ce que cela signifie qu’il faut forcément changer sa vie? Est-il préférable de suivre ses désirs ou vaut-il mieux se réjouir de ce que l’on a?» Je pense que toutes ces questions s’appliquent à plusieurs aspects de nos vies et pas seulement à nos relations amoureuses.
Le personnage de Seth Rogen est un cuisinier qui concocte des recettes de poulet. Que de poulet! C’est significatif, non?
Oui. Ça montre qu’avec lui, sa femme vit quelque chose de rassurant, de familier, mais aussi de répétitif et d’un peu ennuyeux. Comme le poulet.
Margot et Lou se parlent souvent en langage de bébé. Une façon de montrer qu’ils ont du mal à avoir une vraie conversation d’adultes?
Tous ces jeux enfantins auxquels ils s’adonnent masquent les fissures qui sont apparues dans leur relation. En même temps, je sens que, si on est dans une relation ou un mariage qui fonctionne vraiment, on peut faire preuve d’inhibition, faire les fous, jouer aux enfants. Si d’autres gens nous voyaient faire, c’est sûr qu’ils nous trouveraient complètement ridicules! Mais avec la personne qui partage notre vie, cela n’a rien d’embarrassant. Je voulais montrer que c’est à la fois adorable… et limitant.
Vous faites ressortir toute la beauté de Toronto – et de Queen Street West – dans ce drame! Avec ses couleurs éclatantes, ses endroits charmants, ses coins cachés….
J’ai toujours su que Toronto serait un personnage central de mon récit. Je voulais montrer la ville telle que je la vois à travers mes yeux. Et j’avoue que j’en ai une vision très romantique, idéalisée et utopique!
Votre récit baigne dans la lumière et le soleil éclatant. Choses qui contrastent avec le tourment intérieur que traverse l’héroïne…
Avec cette lumière, je voulais capturer, de façon tangible, ce que l’on ressent quand on est pris dans le tourbillon du désir, qu’on rêve de quelqu’un à ce point-là. Tout devient alors incroyablement lumineux! Je voulais que les spectateurs soient assaillis par les couleurs. Qu’ils ressentent cette chaleur.
Votre film porte le titre de la célèbre chanson de Leonard Cohen, Take This Waltz. Est-ce, selon vous, l’expression absolue du désir?
C’est vrai que cette chanson m’a beaucoup influencée au départ, lorsque j’ai commencé à écrire mon scénario. Je trouve qu’elle est si poétique, si belle, si avisée! Elle possède un petit côté tragique que je voulais que mon film possède aussi.
Take This Waltz
En salle vendredi
