Dans One World Kitchen, sa première expérience d’animation, la Montréalaise Joanna Chery partage son amour de la cuisine grecque, de sa culture et de ses gens.
Quand elle était petite, Joanna Chery jouait à animer, en cachette, une émission de cuisine. «Après les bonhommes du samedi, il y avait sur PBS des émissions de bouffe l’une après l’autre. J’écoutais ça comme une affamée! Puis, je m’exerçais, comme si je me trouvais devant une caméra : “Maintenant, tu vas prendre un concombre et tu vas le couper comme ça et tu vas le râper comme ça et lalala.” Et me voilà, 20 ans plus tard, en train d’animer une vraie émission. L’univers est vraiment mystérieux.»
Assez mystérieux pour qu’un jour, elle reçoive un message dans la boîte vocale du Phyllo Bar Melina’s, le charmant café de 375 pi2 qu’elle a fondé il y a maintenant six ans. Une recherchiste de la chaîne Gusto l’avait vue faire un segment sur Breakfast Television, où elle préparait une des recettes en vedette dans son café du Mile-End, qui sert des spanakópita et des pâtisseries grecques. «Tu sembles naturelle et à l’aise devant la caméra, aimerais-tu passer une audition pour une nouvelle émission?»
La Montréalaise née d’un père haïtien et d’une mère grecque a dit oui (ou plutôt «Ouiiiii!!!») et a également obtenu un «oui, on veut travailler avec toi!» à la suite du processus de sélection. Et ce, même si elle n’avait aucune expérience en animation et que sa formation de chef, elle l’avait reçue à la maison. «J’ai trois grandes sœurs, plus une maman, plus une grand-maman, plus une cousine, qui habitaient toutes sous un même toit, énumère la charismatique entrepreneure. On recevait tout le monde pour toutes les fêtes possibles et imaginables. J’ai toujours cuisiné pour 20 personnes et plus. J’ai appris en observant et en écoutant les femmes de la famille. Ce sont, selon moi, les premières chefs cinq étoiles.»
Dans un épisode où elle présente des recettes de la capitale grecque, par exemple, elle rend hommage à sa tante, Yanna, d’après laquelle elle est nommée. «Chaque fois que je vais à Athènes, on cuisine ensemble, on essaie de nouvelles recettes, on fait le tour des restos.»
À l’écran, Joanna cuisine seule, mais au tournage, elle est évidemment entourée de toute une équipe. «Le réalisateur Matt West, un preneur de son, une maquilleuse, des préposés aux accessoires, trois caméramans, dont un seulement pour tourner les gestes au ralenti!»
À ce sujet, combien de fois doit-elle concocter ses plats? «On ne tourne pas une recette de A à Z sans arrêt, rappelle-t-elle. C’est plutôt: “Tu tranches le concombre, on coupe. Tu recommences, la caméra prend un autre angle. On ramène le concombre, on replace tout, tu recommences.” Préparer une recette d’une trentaine de minutes, ça prend environ trois heures! Il faut faire attention au moindre détail. Et puis, s’esclaffe-t-elle, je me suis déjà coupée pendant une prise, je me suis brûlée, je me suis salie. Un jour, j’ai battu le record: je me suis tachée et changée cinq fois!»
Avec cette même énergie, Joanna entrecoupe ses gestes d’anecdotes, parle de son pays, fait un clin d’œil au téléspectateur, rigole. Ce procédé qui lui vient naturellement correspond bien au style de l’émission, qu’elle qualifie de «moderne, fraîche, sensuelle». Vous ne m’entendrez pas dire “Mettez 2 cuillerées de ceci, ajoutez 3 cuillerées de ça.” Non. Mon rôle, c’est de partager des histoires personnelles et mon amour de la nourriture. Parce que c’est quelque chose de beau, qui nous unit tous.»
Et puis, ajoute-t-elle, «quand les gens s’assoient pour écouter une émission culinaire, ils n’ont pas forcément un stylo et un petit calepin. Moi, je veux leur dire : “Stressez-vous pas! Si vous voulez la recette, elle est sur le site web pour toujours et pour toujours. Écoutez l’émission juste pour le plaisir!”»
Et c’est vrai qu’il est plaisant de regarder Joanna se délecter de ses plats, enjoindre aux spectateurs de la suivre («Let’s do this!»), livrer joyeusement ses petits secrets et éclater de rire. Sans oublier ses «Oh!», «Hmm!» et «Ça, c’est la Grèce dans un bol!». On imagine que ces exclamations ne sont pas forcées? «Ah! Pas du tout! assure-t-elle dans un grand sourire. Avant le début du tournage, en répétition, le réalisateur m’avait justement conseillé d’éviter les hmm, les ah, et de plutôt décrire ce que je mangeais, parce que hmm et ah, ça ne veut rien dire! Mais… je ne peux pas m’en empêcher. Je suis contente que ça n’ait pas été coupé au montage. C’est moi! J’aime manger! C’est comme ça que je m’exprime!»
Notons ici que ces recettes qu’elle prépare et goûte avec joie à l’écran, ce sont principalement des recettes grecques assaisonnées à sa façon. «J’ai principalement puisé mon inspiration dans le livre de cuisine de ma mère, qui est plein de notes, de pages qu’elle a ajoutées, de recettes reçues de sa sœur, de ses tantes, de ses voisines. Pour l’émission, j’ai tenté de rester aussi proche de la tradition que possible, tout en prenant en compte le contexte québécois, canadien. On n’utilise pas toujours les mêmes ingrédients, il faut changer de petites choses.»
Un exemple? «Dans la recette originale de la tarte à l’agneau crétoise, il y a deux sortes de fromages impossibles à trouver ici et une sorte de beurre extrêmement épais. J’ai juste utilisé du beurre clarifié à la place.»
Mais, ajoute-t-elle, pas de panique. Ou plutôt: «C’est ben correct.» «Des fois, on reste trop coincé dans les ingrédients, les détails. Ce n’est pas grave d’utiliser ce qu’on a, ce qu’on peut, de remixer les choses à sa façon. La nourriture, c’est dynamique! Ce n’est pas un artéfact dans un musée. C’est vivant!»
One World Kitchen
Sur les ondes de Gusto
Tous les mardis à 21h