Le Musée des beaux-arts nous rappelle que l’impressionnisme fut bien plus qu’un mouvement d’art décoratif et bourgeois.
Disons les vraies choses : certaines des œuvres présentées à l’exposition Il était une fois l’impressionnisme : chefs-d’œuvre de la peinture française du Clark sont de véritables icônes de l’histoire de l’art. Monet, Manet, Degas, Gauguin, Pissarro, Toulouse-Lautrec, Renoir et plusieurs autres figurent au tableau. Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef du Musée des beaux-arts (MBAM) et commissaire de l’expo à Montréal, n’hésite pas à la qualifier de «première au Québec véritablement consacrée à l’impressionnisme».
L’impressionnisme se classe incontestablement parmi les courants artistiques les plus populaires de tous les temps. La principale force de l’expo repose justement sur sa fascinante mise en contexte, qui redonne une actualité au mouvement qui a incarné la vie moderne, qui s’est inscrit dans un contexte de profonds bouleversements esthétiques et sociaux et qui a rendu possible un nouveau règne du marché de l’art. Présentée en exclusivité sur le territoire canadien à Montréal et mise en circulation par le Sterling and Francine Clark Art Institute au Massachusetts, cette exposition nous éclaire sur la genèse et l’héritage des impressionnistes, dont chacun a imposé sa propre vision dans un système où l’artiste devait effacer sa personnalité pour mettre de l’avant sa virtuosité.
«Si l’impressionnisme conserve toujours ce pouvoir de séduction incroyable, c’est qu’il représente une réalité sans qu’on ait besoin de la déchiffrer, souligne Mme Bondil. Il y a là une certaine accessibilité, car ça demeure une peinture figurative, compréhensible. En plus, c’est un mouvement qui s’est affirmé à une époque où le marché de l’art et la multiplication des images se sont développés à une échelle complètement inédite.»
En discussion avec Métro, la commissaire s’est penchée sur trois œuvres marquantes de l’exposition.
Vitesse éloquente
Camille Pissarro,
La maison de Piette à Montfoucault (1874)
Mme Bondil choisit ce tableau pour sa performance picturale. «C’est une peinture hâtive, un peu bâclée à la surface de la toile, probablement parce que Pissarro avait froid, dehors sous la neige, raconte-t-elle. La peinture impressionniste amènera la performance du geste, très calligraphique, à la surface de la toile.
Pourtant, ce n’est pas une peinture qui se fait rapidement car elle développe les contrastes chromatiques, mettant côte à côte des couches de peinture vive sans qu’elles ne se mélangent.»
Ici, la couleur de Pissarro est un peu boueuse. «Il a dû ne pas trop attendre que la peinture sèche avant de poursuivre, ajoute Mme Bondil. J’y vois une volonté d’expérience physique, je dirais même un peu comme Pollock plus tard. Je trouve ce Pissarro très émouvant car on voit le peintre dans son effort.»
Incontournable et incomprise
Edgar Degas,
La petite danseuse de quatorze ans (1880-1881)
Mme Bondil, qui est spécialisée en sculpture, a rajouté à l’exposition cette œuvre avant-gardiste, tellement choquante et incomprise à l’époque qu’elle ne trouvera pas de descendance immédiate. «Je l’ai inclus pour dire qu’il n’y a pas qu’une peinture impressionniste, affirme-t-elle. Avec cette vision sans complaisance de ce qu’était non seulement la morphologie humaine mais aussi la nature humaine, l’œuvre de Degas a été si violemment reçue qu’il n’a plus jamais exposé de sculptures.»
«Ce n’est pas seulement l’enveloppe physique créée d’une petite ballerine maigrichonne mais aussi ce regard pervers qui, aujourd’hui, nous paraît épouvantable. La sculpture, normalement vue comme un art de sublimation par des matériaux comme le marbre, la pierre ou le bronze, est travaillée dans l’œuvre originale avec de la cire et de vrais textiles… Complètement délirant», conclut Mme Bondil.
Émouvante sincérité
Pierre-Auguste Renoir,
Jeune fille endormie (1880)
Nathalie Bondil raconte qu’Angèle, ladite jeune fille, était connue pour ses mœurs légères. «Elle aimait faire la fête toute la nuit! relate la directrice et conservatrice du MBAM. Comme l’œuvre a été présentée au Salon, la bouteille de vin à côté d’elle a été effacée, mais les radiographies ont démontré qu’elle était là. Angèle a une sensualité à fleur de peau, cette chair absolument extraordinaire et un petit chat logé sur ses genoux, un symbole sexuel très fort! C’était beaucoup plus choquant à l’époque de voir une fille avec une épaule dénudée qu’un nu académique. Il y a une vraie sincérité dans l’œuvre. Les impressionnistes voulaient peindre sincèrement, montrer la réalité telle qu’elle était. Effectivement, Renoir ne la travestissait pas.»
Il était une fois… l’impressionnisme
Au Musée des beaux-arts
Jusqu’au 20 janvier 2013
