L’artiste cri Kent Monkman nous convie à une réinterprétation tragicomique de l’histoire et de la représentation des peuples autochtones dans son exposition Honte et préjugés : une histoire de résilience, présentée au Musée McCord.
Conçue d’abord comme une réponse aux célébrations du 150e anniversaire de la Confédération canadienne, l’expo met en relation les créations joyeusement subversives du peintre, les canons des grands maîtres de la peinture et les représentations des Amérindiens dans la culture occidentale.
Une façon selon l’artiste de replacer les Premières Nations au centre de l’histoire et de souligner leur résilience au fil du temps.
Cette version revue et corrigée de l’histoire canadienne se fait en compagnie de l’alter ego de Monkman, la bien nommée Miss Chief Eagle Testickle, figure au genre incertain, mais aux talons hauts bien assumés.
«Lorsque j’ai créé ce personnage, je m’intéressais aux œuvres de Georges Catlin, de Paul Kane et d’autres peintres du XIXe siècle qui ont représenté des Autochtones. J’ai remarqué qu’ils se peignaient souvent dans leurs propres tableaux, qu’il y avait une part autobiographique de leurs interactions avec les peuples autochtones, raconte l’artiste qui a grandi à Winnipeg. C’est ce qui m’a donné l’inspiration pour créer mon propre personnage qui regarde à son tour les colons européens et renverse le point de vue et les relations de pouvoir. Je voulais un personnage qui soit non binaire, qui occupe ce «troisième genre» entre l’homme et la femme, pour réfuter la domination sexuelle coloniale et la répression qui venait de l’Église.»
Présent dans plusieurs tableaux, ce personnage guide le visiteur dans neuf salles thématiques, qui vont de la Nouvelle-France jusqu’à l’époque actuelle.
«On peut comprendre ces tableaux sans rien connaître de l’histoire de l’art. C’est ce dont j’avais besoin pour communiquer plus efficacement.» – Kent Monkman, artiste, qui après avoir fait ses débuts dans l’abstraction, a décidé de retourner vers l’art figuratif. «Je considérais que l’art abstrait était la forme la plus pure d’expression en peinture. Éventuellement, j’ai rejeté cela puisque j’ai constaté que c’était un langage trop personnel qui laissait beaucoup de gens de côté. Je suis retourné à un art plus représentatif qui peut être lu et compris par des gens de toutes origines, de toutes cultures.»
Miss Chief est tour à tour courtisée par Wolfe et Montcalm, maîtresse de John A. McDonald ou dominatrice dans une orgie à ciel ouvert…
«J’aime utiliser l’humour pour ouvrir l’esprit des gens. En riant, on est peut-être plus réceptif au message derrière ces œuvres, estime Kent Monkman, qui cite notamment Rubens, Le Caravage et Picasso dans ses tableaux. Toutes les cultures humaines font une place à l’humour. Dans la culture crie, la façon de raconter des histoires est très drôle. C’est vrai également pour les cultures autochtones en général. Ça fait partie de qui nous sommes en tant qu’êtres humains; nous avons tous besoin de rire. Il s’agit de trouver le bon équilibre et le bon ton.»
Au fil de l’expo, l’humour laisse toutefois place au drame, lorsque l’artiste illustre les effets dévastateurs des politiques coloniales : dépossession des territoires ancestraux, horreur des pensionnats, maladie, famine, détresse psychologique.
C’est le cas par exemple du tableau The Scream, qui, dans un style volontairement provocant, montre des enfants autochtones arrachés des bras de leurs parents pour être amenés dans des pensionnats par des religieuses et des agents de la GRC en uniforme de défilé.
«Je voulais rappeler l’impact émotionnel et la violence de ces gestes. Si on lit le rapport de la Commission de la vérité et de la réconciliation, on trouve des scènes semblables à ce que je dépeins», rappelle celui dont la grand-mère a été forcée de fréquenter une de ces écoles résidentielles.
«C’est une page sombre de l’histoire canadienne qu’on commence à peine à raconter.»
La photo au service du peintre
Pour peindre ses grandes fresques, Kent Monkman n’hésite pas à capter sur photo des acteurs en plein mouvement. «Pendant longtemps, j’ai été réticent à utiliser la photographie, parce que je considérais que c’était de la triche. Puis, j’ai compris que les peintres que j’admire, même ceux du XIXe siècle, utilisaient la photographie comme un outil pour arriver à de meilleurs résultats.» «Je ne veux pas que mes peintures ressemblent à des photographies, précise l’artiste établi à Toronto. C’est un outil, tout comme l’emploi d’acteurs, qui permet d’avoir accès à un registre d’émotions plus grand. Ça élargit la palette d’expressions humaines qu’on peut illustrer dans un tableau.»
Infos
Honte et préjugés : une histoire de résilience
Au Musée McCord dès vendredi et jusqu’au 5 mai