Depuis l’arrivée d’une «force obscure» à la Maison-Blanche, le génie comique Jim Carrey grince des dents et montre les crocs. Par la bouche de ses crayons de couleur, il exprime son ras-le-bol et son indignation sous forme de caricatures qu’il partage sur Twitter. «Parce que rire est une si jolie façon de montrer les dents», comme le dit la devise des Zapartistes. Une première rétrospective de ses dessins satiriques est présentée au Centre Phi.
Depuis une trentaine d’années déjà les performances à couper le souffle de Jim Carrey, autant au petit comme au grand écran, nous font rire et pleurer.
Ses grimaces et ses singeries dans des films devenus cultes, comme La cloche et l’idiot et Ace Ventura, ont déridé et marqué toute une génération. Dans la peau de Truman (Le Show Truman), de Joel (Du soleil plein la tête) ou encore tout récemment de Jeff Pickles dans la série Kidding – dont la deuxième saison est actuellement en tournage –, il nous a bouleversés par son jeu sensible et chavirant.
Avec ses caricatures aux couleurs vives et au trait appuyé, le célèbre acteur désormais «artiste visuel émergent», comme le décrit le Centre Phi, nous fait cette fois passer par une nouvelle gamme d’émotions, dont la colère et l’indignation.
Ces sentiments lui viennent de l’administration Trump, élue en 2016, qu’il décrit comme une «puissance perverse» formée de «lieutenants corrompus». Ses frasques à répétition lui font grincer des dents, c’est le moins qu’on puisse dire.
«De là m’est venue l’idée de renouer avec une vieille passion d’enfance… le dessin», explique Jim Carrey dans un mot accompagnant l’exposition This Light Never Goes Out – Les dessins engagés de Jim Carrey.
Bien avant de devenir un acteur célèbre, le Canadien, qui a également depuis 2004 la nationalité américaine, dessinait. Entre deux clowneries et trois simagrées sur le plateau de Jimmy Kimmel l’automne dernier, il a raconté comment sa prof de sixième année lui confisquait les caricatures qu’il faisait en classe. Pour la petite histoire, cette dernière les lui a rendues lorsqu’il est devenu connu.
En 2017, dans le court métrage documentaire joliment intitulé I Needed Color (disponible en ligne), il partage son obsession pour la peinture, une vocation qui s’est manifestée à lui ces dernières années. Une pratique qu’il aime pour sa liberté, qu’il définit comme une expression de son for intérieur.
«Le dessin m’a permis de retrouver l’enfant de huit ans que j’étais; c’est un cadeau du ciel!» a-t-il dit, émerveillé, à Jimmy Kimmel.
«Je ne déteste pas les personnes que je dessine. Je déteste leur inconscience. Je les plains de penser qu’ils peuvent gagner en vendant leur âme pour un nom.»
Son cœur d’enfant est toutefois meurtri par le climat politique au sud de la frontière, où il vit. Son art, qu’il qualifie de «petite vengeance personnelle», s’inscrit dans la tradition de la caricature éditoriale et érige l’artiste en véritable chien de garde de la démocratie. «Il ne s’agit pas d’un simple exutoire pour moi, mais aussi d’un coup de gueule public contre l’avilissement qui menace l’une des plus précieuses ressources sur terre: la vérité absolue», détaille-t-il.
Un petit tour sur son compte Twitter permet de mesurer l’ampleur de son indignation. Depuis 2016, le comédien a publié des centaines de caricatures liées à l’actualité américaine, la plupart accompagnées de messages incisifs. Encore hier, il publiait un nouveau dessin du président Trump.
Pour l’exposition au Centre Phi, première rétrospective de son travail, une cinquantaine de ses œuvres, toutes faites à la main, ont été détachées de ses cahiers à dessin. Elles se retrouvent encadrées et présentées en ordre chronologique, accompagnées de ses commentaires cinglants.
La sélection a été faite par Jim Carrey et la fondatrice et directrice du Centre Phi, Phoebe Greenberg. Cette dernière l’a rencontré à Los Angeles à cette fin. «On a passé quelques heures ensemble à discuter. Cette exposition lui tient vraiment à cœur. Il a fait des propositions jusqu’à la dernière minute», relate-t-elle en entrevue.
En effet, des dessins datant de quelques semaines à peine se trouvent sur les murs de la salle d’exposition. C’est le cas du puissant Too Late to Terminate?, montrant la gouverneure de l’Alabama Kay Ivey en fœtus, qui dénonce le projet de loi adopté dans cet État pour interdire l’avortement. Sous la caricature, cette inscription: «Si vous avez à avorter, mieux vaut que ce soit avant que le fœtus devienne gouverneur de l’Alabama.»
En plus du président américain, le caricaturiste a comme cibles de prédilection ceux qui ont gravité autour de lui, notamment Kellyanne Conway, Sarah Huckabee Sanders, Steve Bannon et Stephen Miller. Kim Jong-un, Vladimir Poutine ou encore Bill Cosby ne sont pas non plus épargnés par ses crayons.
À propos des personnes qu’il dessine, Jim Carrey écrit: «J’ai envie de les secouer pour qu’[elles] se réveillent et comprennent à quel point on se sent bien de gagner en jouant [de façon intègre].»
Si un certain cynisme face au milieu politique se dégage de l’exposition, la visite se termine sur une note positive, le dernier pan de mur affichant des portraits de personnalités inspirantes aux yeux de l’acteur, dont Barack Obama, Aretha Franklin et Ruth Bader Ginsburg. «Si Ginsburg est en vie, la justice l’est aussi!» commente-t-il.
Ces œuvres sont faites «avec amour», explique Phoebe Greenberg. «Moi, je veux toujours qu’on termine sur une note positive, dit-elle en échappant un petit rire. Sans pouvoir parler pour lui, ça montre un espoir pour les prochaines générations. On espère que les choses vont changer. On ne pose pas de geste artistique si on ne croit pas qu’on a une certaine influence.»
De là cette lumière qui ne s’éteint jamais, celle qui donne son nom à l’exposition, celle qui accompagne un autoportrait de Jim Carrey.
«Dernièrement, mon inquiétude face à la cupidité et la corruption dans le monde a pu vous pousser à vous demander ce qui se passe dans ma tête. J’ai donc cru bon vous montrer un peu. Cette lumière ne s’éteint jamais», écrit-il.
Un peu d’info:
This Light Never Goes Out – Les dessins engagés de Jim Carrey
Au Centre Phi jusqu’au 1er septembre