Dans son premier documentaire, Le Horse Palace, Nadine Gomez fait le portrait d’une des dernières écuries de Griffintown, quartier de Montréal dont les institutions patrimoniales sont prises d’assaut par les promoteurs immobiliers.
Comment avez-vous commencé à vous intéresser à l’écurie Le Horse Palace?
Quand j’ai fait ma maîtrise en communication, je me suis intéressée à l’aspect urbain comme à un matériau pour lire la société dans laquelle on vit. Je me suis rendu compte que la manière dont on aménage les espaces, dont on organise les villes, c’est une façon de voir comment on se situe dans le monde; c’est politique, philosophique, ça en dit beaucoup sur une société. J’étais donc déjà sensible à ça. Un soir, je me promenais à vélo, au bord du canal de Lachine et j’ai croisé un monsieur qui marchait à côté de son cheval. Quand je suis arrivée chez mon ami à Pointe-Saint-Charles, celui-ci m’a raconté qu’il y avait depuis longtemps des écuries à Griffintown – il m’a parlé plus précisément du Horse Palace, celle qu’il connaissait parmi les trois écuries qui restent à Montréal. Ça m’a frappée. Et quand j’ai découvert Le Horse Palace, ç’a été un coup de cœur pour moi. Je me suis dit : «C’est là que je veux faire mon film.»
Quelle a été la réaction des gens du Horse Palace quand vous les avez approchés?
Leo Leonard [le propriétaire de l’écurie, qui est décédé en juillet dernier] était un peu gagné d’avance; il s’est ouvert rapidement. Je pense qu’il était habitué de faire des entrevues; c’était «le vieil Irlandais de Griffintown», alors les médias anglophones de Montréal faisaient souvent des petits topos sur lui. Pour les cochers, ça a pris un peu de temps, mais à la fin, ils étaient très à l’aise.
Il a fallu quatre années pour terminer le film – dont une trentaine de jours de tournage répartis sur trois ans. Quand avez-vous déterminé que vous aviez assez de matériel?
Ç’a été dur! On accumule du matériel, on ne sait pas comment on va synthétiser tout ça, et en même temps, on veut trouver «la fin» de son histoire… sauf qu’il n’y en a pas toujours dans la vraie vie! Finalement, il y a eu le décès de Leo, que je ne pouvais pas prévoir. Sinon, ça aurait été soit que l’écurie tombe, soit qu’elle soit sauvée pour de bon, mais c’était toujours en suspens. À un moment donné, il a fallu se détacher et accepter que la vie continue!
Vous avez choisi une approche sans narration : Était-ce un choix naturel ou réfléchi, dans le but de laisser les gens former leur propre opinion?
Avant d’être une cinéaste, je suis une cinéphile. J’ai été influencée par le cinéma direct, les films de l’ONF des années 1960-1970. Cette façon de faire, pour moi, était une des plus respectueuses. Sans nier notre présence derrière la caméra, je ne voulais pas faire des entrevues trop préparées. Voir ces gens vivre, c’était ce qui était intéressant.
Chantal, une des cochères que vous interviewez, mentionne à un moment du film que tout ce qui est beau et romantique semble être remplacé par ce qui est efficace. Un constat qui s’applique à plusieurs domaines… dont les arts?
Il y a certainement une crise de sens dans l’art. Il y a des questions à poser sur là où on est rendus. En documentaire, par contre, je crois qu’il reste une certaine liberté. On est tributaires d’une école de documentaire super forte au Québec, mais on est quand même restés pauvres. Alors on est encore libres, parce que les cinéastes se battent beaucoup avec les moyens qu’ils ont, et il y a beaucoup de passion, beaucoup de sensibilité, d’audace. Le documentaire est un cinéma qui est encore très malléable. Il y a aussi une humilité naturelle qui vient du fait qu’on ne travaille pas avec des vedettes.
Qu’aimeriez-vous que les gens retiennent de votre film?
Ce que j’ai voulu faire, c’est apporter un regard sensible sur les choses qu’on trouve laides d’habitude. Rendre à l’écran la nostalgie, la poésie de la ville. La charge historique n’est pas seulement dans les musées. Il y a plein de vieilles institutions qu’on change pour du neuf, dont la modernité prend la place parce que c’est plus rentable, parce qu’on aime ça quand tout est bien propre, alors qu’il y a une âme et une humanité dans ces endroits.
Le Horse Palace
En salle dès vendredi