Culture

Hannah Arendt : la controverse

La grande interprète Barbara Sukowa se glisse dans la peau d’Hannah Arendt, à qui on doit le concept de la banalité du mal. Entretien avec l’égérie de Fassbinder.

Le procès d’Adolf Eichman défrayait les manchettes en 1961 pour sa participation à l’Holocauste. Tout autant qu’Hannah Arendt, une philosophe juive allemande et correspondante pour le New Yorker, qui écrivait que l’accusé n’était pas le diable en personne.

À l’époque, Barbara Sukowa était encore une enfant ignorant les fondements de ce qui se tramait dans l’actualité. La comédienne a fait ses devoirs pour ce rôle, lisant toute la documentation qu’elle pouvait trouver. «En tant qu’Allemande de cette génération, j’ai toujours été intéressée par ces questions, avoue-t-elle au cours d’une entrevue téléphonique. Tout ce qui touche cette tragédie, ce sentiment de culpabilité, le mal dont on était responsable.»

Elle découvre une femme complexe, intelligente et intrigante, qui a laissé comme héritage le concept de la banalité du mal. «Ç’a certainement changé notre perception de l’Holocauste et du génocide, de la façon de réfléchir sur le nazisme, explique celle qui a déjà tourné sous la houlette de Lars von Trier et de David Cronenberg. Eichman était un bureaucrate, pas le mal incarné comme Richard III.»

Une question de dignité
Cette théorie n’a pas fait l’unanimité : de nombreuses personnes et institutions ont mis de la pression sur Hannah Arendt pour qu’elle se rétracte. Mais cette dernière revendiquait sa liberté de penser, de s’exprimer et de nager à contre-courant du conformisme ambiant.

«C’était important pour elle qu’on pense par soi-même, ce qui est de plus en plus difficile à notre époque avec toutes les sources d’information dissonantes et les voix discordantes qui sont si séduisantes, note l’actrice, qui est également chanteuse à ses heures. Elle était toujours intéressée par le dialogue, par l’échange d’opinions entre les gens.»

Il n’est donc pas surprenant que les mots soient au cœur de cette œuvre réalisée avec minutie par Margarethe von Trotta, qui aime bien donner de grands rôles féministes à Barbara Sukowa, que ce soit dans Les années de plomb, Vision ou Rosa Luxembourg. Ce dernier film lui a d’ailleurs valu un prix d’interprétation au Festival de Cannes.

«J’ai au moins une chose en commun avec Margarethe, que nous partageons également avec Hannah Arendt, fait remarquer celle qui a été récompensée au Festival des films de Montréal en 2008. Nous voulons comprendre. Nous sommes curieuses et nous voulons apprendre en explorant des choses dont nous ne connaissons pas nécessairement les aboutissements.»

«Nous étions effrayées, poursuit la comédienne. Nous ne savions pas si nous allions réussir à raconter cette histoire. Ce n’est pas un sujet facile. Il n’y a pas beaucoup d’action ni de grande histoire d’amour. C’est plutôt un film sur des gens qui parlent et qui réfléchissent. C’est pourquoi nous sommes un peu surprises et très heureuses de l’accueil plus que favorable, parce que les spectateurs discutent beaucoup du film.»

Hannah Arendt
En salle dès vendredi

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