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«La montée du Front national me fait mal»

Résolument engagé aux côtés des laissés-pour-compte, le groupe français Danakil chante depuis 15 ans la dignité humaine sur les rythmes ensoleillés du reggae. Métro a rencontré Balik, chanteur du groupe, lors de son passage à Montréal.

La France est le berceau des droits de l’homme, le pays qui fut le phare des valeurs universelles d’entraide, de solidarité et de dignité. Comment réagissez-vous à la montée de l’extrême droite à laquelle on assiste là-bas?
C’est certain que ça me fait mal, parce que c’était une grande fierté pour moi d’être originaire du pays des Lumières. Mais il y a tout un mouvement qui revendique une droite «décomplexée» en France aujourd’hui, et qui carbure grâce à un mélange de politiques provocatrices et d’engouement médiatique. Tel politicien fait telle déclaration qui choque, et les médias en parlent pendant une semaine, jusqu’à ce qu’un «chroniqueur» renchérisse sur la déclaration d’origine pour choquer encore plus, et les médias parlent de cette autre déclaration pendant une semaine encore. Tout ce monde politico-médiatique instrumentalise la peur des gens. Il y a une détresse populaire liée à la crise, et certains profitent de la peur de l’Autre pour se faire du capital politique.

Croyez-vous à la «rédemption» du Front national (FN), c’est-à-dire à l’image plus acceptable que Marine Le Pen s’efforce de projeter?
Pas du tout. Selon moi,toutes les querelles publiques auxquelles les Le Pen se sont livrés récemment sont le fruit d’une opération de communication publique. Maintenant, Marine Le Pen parade en disant: regardez comme nous avons changé, je suis prête à tenir tête à mon propre père lorsqu’il dit n’importe quoi. C’est elle qui va tirer tous les bénéfices de cette histoire, la petite sorcière. Je pense que ça lui rapporte trop pour que ce ne soit pas un stratagème.

«Ce que nous croyions pouvoir rendre possible à 20 ans, nous réalisons aujourd’hui que nous pouvons seulement le rêver; nous prenons conscience d’être seulement une toute petite partie dans un ensemble immense et infini.» – Balik, chanteur et parolier de Danakil, à propos du thème du rêve abordé dans le dernier album du groupe, Entre les lignes

Votre chanson Mali Mali revient sur l’intervention militaire française lancée en 2013 pour contrer la déferlante extrémiste qui menaçait de s’emparer de Bamako, la capitale malienne. Avec le recul, que pensez-vous de l’opération Serval?
Quand la France est intervenue (NDLR: en janvier 2013), il faut se rappeler que les extrémistes qui venaient du nord étaient sur le point d’envahir Bamako. J’étais là-bas entre 2012 et 2014, et l’arrivée prochaine des djihadistes était le sujet dont tout le monde parlait. Le Mali se relevait d’un coup d’État, il n’avait plus d’armée, plus de président. Vu l’état de chaos dans lequel était plongé le pays, l’opération française a été, je pense, salvatrice dans un premier temps. L’opération recevait un très fort appui populaire au Mali, et rarement avait-t-on un consensus international aussi unanime au sujet d’une intervention militaire dans un pays étranger. Le business le plus florissant du pays à l’époque était le commerce des petits drapeaux bleu-blanc-rouge, c’est pour dire l’engouement francophile que l’intervention a suscité!

Mais le temps passe et on s’aperçoit maintenant que la France n’est pas allée là-bas dans le seul but d’aider les Maliens. Paris soutient à la fois le régime de Bamako et le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), la révolte touareg qui réclame l’indépendance de tout le nord malien. Or, l’un et l’autre ont des intérêts opposés, et la France joue à l’équilibriste entre les deux. Pourquoi? Parce que le sous-sol du nord regorge de richesses, et que Paris veut garder un pied dans ce territoire pour y faire des affaires.

Entre les lignes aborde souvent l’appel d’un monde fantasmé, rêvé, dans lequel la dignité humaine serait respectée. Est-ce parce que vous avez de plus en plus de mal à regarder le monde tel qu’il est?
Tout l’album a été construit en fonction de cette dualité entre le rêve et la réalité. Et puis tu sais, je pense qu’on a vieilli, et qu’on a perdu quelques illusions en cours de route… On a l’impression d’avoir moins de pouvoir et que les choses nous échappent, en quelque sorte. Ce qu’on croyait pouvoir rendre possible à 20 ans, on réalise aujourd’hui que nous pouvons seulement le rêver; nous prenons conscience d’être seulement une toute petite partie dans un ensemble immense et infini… Mais c’est important de rêver et de conserver ses idéaux.

Que pensez-vous de la réaction du gouvernement aux attentats contre une épicerie cachère et l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo survenus à Paris en janvier dernier?
La réaction a été normale, je pense, vu l’émotion que ces attentats ont suscité. Les gens sont descendus dans la rue, ont rappelé leur attachement à la liberté d’expression, c’est normal. Par contre, je pense qu’il y a aussi eu une instrumentalisation de l’événement de la part des autorités, qui en ont profité pour tenter de mettre en place des lois qui grugent les libertés individuelles.

Je trouve que [le premier ministre français] Manuel Valls est hyper inégal dans sa réaction. Par exemple, il s’est rendu à une commémoration en portant la kippa pour appuyer la communauté juive. Mais il n’est jamais allé au sein de la communauté musulmane avec une pareille ferveur; c’est comme s’il appliquait deux poids, deux mesures en fonction des communautés qu’il rencontre. Il a même dit: «Je rêve d’une France où les juifs n’auraient plus peur et où les musulmans n’auraient plus honte». Il stigmatise les deux communautés en une seule phrase. Je n’en reviens pas que le premier ministre d’une république laïque ait pu dire ça!

Danakil
Samedi 18 avril
Au Théâtre Fairmount

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