Selon ses propres observations, Fabien Cloutier «plaît autant à l’intelligentsia qu’à l’amateur de Coors Light». Il reçoit aussi l’approbation de «gens qui aiment les dessins de dragons» et de ceux qui «partagent les articles du magazine Le Lundi». Son nouveau recueil, Trouve-toi une vie, se veut donc universel. Et s’adresse autant à toi, qu’à toi, qu’à toi. Eh oui, à toi aussi.
Au micro de l’émission de radio Plus on est de fous, plus on lit!, Fabien Cloutier a longtemps décortiqué, à sa colorée manière, des régionalismes québécois. Excellent prétexte pour démonter les acteurs-arnaqueurs de notre actualité, explorer notre rapport parfois tordu à la célébrité, se désoler de notre manque de curiosité, et de notre propension à regarder toujours les mêmes émissions, à jouer toujours la même toune. Avec ces chroniques et sautes d’humeur désormais regroupées dans un recueil publié chez Lux, le dramaturge et acteur propose à son auditeur, devenu ici lecteur : Trouve-toi une vie. Avec affection, bien sûr.
Comme vos pièces, ce recueil recèle beaucoup d’amour. Vous terminez d’ailleurs sur une déclaration en ce sens au lecteur : «Je t’aime. Je t’aime, mon ami.» Est-ce une chose qui vous a guidé, dans vos chroniques, comme toujours?
Oui, mais… j’aime ça le cacher! (Rires) J’ai l’air d’un… comment dire? je peux être cinglant, je ne fais de quartiers à personne, je peux être dur, impitoyable. Mais je pense que les gens qui savent bien lire ce que je fais voient tout l’amour et la tendresse que j’ai pour mes personnages. Et je pense que je fais ça, non pas pour être aimé, mais parce que je pense que si on était tous un peu plus honnêtes, pis qu’on faisait tous un peu plus attention aux autres, ça irait mieux.
Une chose qui caractérise plusieurs de vos chroniques, c’est qu’il y a souvent un «mais». Dès le départ, vous écrivez à un collectionneur de plantes : «J’ai rien contre le fait que tu tripes sur les cactus, que t’aies 97 variétés de cactus… mais j’ai envie de te dire de te trouver une vie.» Est-ce un mot que vous affectionnez?
Ben, oui! Je pense que la grande importance du mais, c’est un prof que j’avais au Conservatoire, en interprétation, qui me l’a apprise. Il nous disait : «Ce qui est important dans une phrase, c’est ce qui vient après le mais.» Quand un personnage se confie, qu’il part dans un grand monologue, c’est à partir du moment où il y a un «mais» qu’il dit le fond de sa pensée! Ultimement, que ce soit dans une réplique de théâtre ou dans la vie, si quelqu’un dit : «Je t’aime… mais je t’ai trompé.» C’est le «Je t’ai trompé» qui frappe le plus. Cette chose-là, le «mais», écrit la suite. Le détail, l’imperfection, la nuance.
«Je parle de comportements et d’agissements en société. J’aime ça, observer comment ça marche. J’ai un bon œil pour ce qui ne marche pas aussi.» -Fabien Cloutier, acteur, chroniqueur, dramaturge
Trouver des images les plus éloignées possibles les unes des autres et les mettre en corrélation, par exemple «l’austérité» et «la souplesse des filles du Cirque du Soleil», est-ce un défi que vous vous imposez chaque fois?
Non! (Rires) En fait, c’est le plaisir d’aller chercher ce à quoi on ne s’attend pas. Dans ces chroniques, même si je réfléchissais beaucoup, je me suis rendu compte que je pouvais me fier à mon instinct. Me fier à ma première idée, faire ohoh! Et m’en aller là, me laisser surprendre par cette chose qui tournait en dedans de moi, passer à une autre. Tsé, un chemin précis, ce n’est pas une ligne droite. Moi, je me donne pour défi de passer par un paquet de places pour, souvent, revenir au point de départ. En fin de compte, c’est le voyage qui est important. Ben plus que la destination.
Vous demandez d’ailleurs souvent à l’auditeur/lecteur: «Tu m’suis? Tu m’suis?» C’est pour vous assurer…
… que t’es là! Oui! J’aime ça, des fois, jouer au chroniqueur (ou au «personnage de Fabien») qui doute trop. «Pour être sûûûr, je vais vous donner un autre exemple.» Mais tout le monde a déjà compris! Et cet exemple, encore plus farfelu à la limite, ne nous aide pas du tout. Mais il me donne l’occasion de divaguer! (Rires)
Vous avez des personnages récurrents : Sam Hamad, Peter McLeod, Justin Trudeau… Est-ce que vous travaillez vos chroniques comme vous écrivez vos pièces? Vous avez vos personnages, et vous les placez là, là ou là, selon la situation?
J’avoue que, des fois, je n’y pense pas trop. J’arrive, je mets quelqu’un dans mon texte et je me demande, heille, j’ai-tu déjà parlé de lui? Mais j’utilise aussi ces personnages parce qu’ils finissent par avoir une espèce de, comment dire? de valeur… mythologique. Symbolique. Tu fais juste nommer leur nom et ça vient avec quelque chose. Justin, avant d’être «le premier ministre», sera toujours, on dirait, «le trop bon garçon». Il vient avec une espèce d’aura de perfection. Peut-être surfaite, je ne sais pas, je ne le connais pas, mais il vient avec ça. C’est la même chose avec Peter McLeod. Ce gars-là ne me dérange absolument pas! Mais dans l’imaginaire collectif, il représente un type d’humour, de discours, de blague. C’est du monde avec qui c’est facile de faire un exemple.
La télé occupe une grande place dans vos textes, du «débrouillage dans le temps des Fêtes» à l’émission «j’ai un resse de salade, pis un resse de poulet dans le frigidaire, ça me prend un chef pour venir me dire qu’avec ça je peux faire de la salade de poulet!», en passant par Curieux Bégin, La galère et Le jour du Seigneur. Une mythologie aussi?
La télé prend de la place dans mes chroniques… parce qu’elle prend de la place partout! Elle n’est plus juste à la télé! Elle est dans les journaux, à la radio. T’as même des émissions de télé qui parlent d’émissions de télé. C’est beaucoup de choses! En plus, la télé a une valeur mythique. La galère, par exemple, c’est le symbole de «l’émission de filles». J’aime l’utiliser pour ensuite dire autre chose.
Votre recueil peut servir de revue gastronomique. Vous mentionnez des peanuts au barbecue, un morceau de gâteau au zucchini, un egg roll bleuet et gourgane. Et bien sûr le poulet, symbole marquant de votre œuvre. Êtes-vous un foodie?
En fait, je trouve qu’à travers la bouffe, on peut dire beaucoup de choses. Il y a un personnage dans [ma pièce] Pour réussir un poulet qui disait : «On est ce qu’on mange.» Je ne pousse pas autant que lui, mais… Ce sont des images que j’aime utiliser. Manger des pinottes au BBQ de garage, il y a des gens qui font «Oh mon Dieu!» et ils ne peuvent pas s’imaginer que quelqu’un se sacre les doigts là-dedans et les prenne dans sa main sale. D’autres n’ont pas de trouble avec ça. Ça veut dire quelque chose et ça m’intéresse.
Vous abordez à quelques reprises le thème de la célébrité, dont celle de «Ricardo, qui ne peut pas aller à la piscine comme tout le monde». Vous écrivez: «Être dans un lieu public pour Ricardo, c’est moins intime que pour d’autres, mais ça vient avec l’amour et le plaisir de se faire dire : “J’adore ta purée de pommes de terre à la vanille et au poivre rose.”» Notre rapport aux vedettes vous préoccupe-t-il?
C’est un sujet malgré tout intéressant, la célébrité. Je ne suis pas la personne la plus connue, mais je suis plus connu que je l’ai déjà été, et je dirais que ça vient surtout avec du positif. Oui, il y a plus de gens qui me disent qu’ils ne m’aiment pas. Mais il y en a surtout plus qui me disent qu’ils aiment ce que je fais. Le monde est plus fin à l’épicerie aussi! (Rires) Mais le besoin de consommer du célèbre, ça…! Ça m’est arrivé au centre d’achats, l’autre jour, de me faire crier : «Heille! Les beaux malaises!» Tu fais, mais… qu’est-ce que tu veux que je te dise? Appeler quelqu’un par le nom de l’émission dans laquelle il joue, je trouve ça… drôle.
Vous teintez vos textes de chansons, dont l’éternel Barracuda de Heart, Hurts So Good de John Cougar Mellencamp («c’est pas su’a coche»). Vous vous adressez aussi à un homme qui choisit Black Betty dans le juke-box : «Tu fais partie de l’incompréhensible pourcentage de monde pas tanné de cette toune-là»…
Je trouve que c’est une bonne façon de parler de curiosité. De dire : si tu ne connais pas quelque chose, ça se peut que ce soit de ta faute, ça se peut que ce soit à cause de ton manque de curiosité, et ça se peut que ça te demande un effort d’en connaître plus. Fais-le. Si la première fois que t’entends quelqu’un chanter du Led Zep, c’est à la télé, c’est peut-être parce que tu n’es pas assez sorti.
Est-ce qu’écrire ces chroniques vous a permis de réaliser quelques rêves? Comme voir «Stephen Harper lire le dernier roman d’Alain Farah»?
Malheureusement, ça ne s’est pas réalisé, mais quand j’ai gagné le Prix du Gouverneur général, il fallait que je signe un livre pour la bibliothèque du Parlement. Et j’ai signé un livre pour Justin! (Rires) J’ai trouvé ça drôle un peu. Dans ma dédicace, j’ai écrit : «Écoute Justin – je t’appelle Justin, on a le même âge – j’espère que tu vas lire ça!» J’ai eu envie de m’adresser à lui comme Justin. Notre relation, c’est ça à date. On n’est pas allés plus loin.
Dessins de Samuel Cantin
Chez Lux Éditeur