Environnement

Décarbonisation d’ici 2030: un objectif quasi impossible, mais nécessaire

Yves Plourde - La Conversation

Plusieurs gouvernements et organisations parlent de carboneutralité, de dé-carbonisation et d’atteinte du net-zéro en lien avec la réduction des émissions de gaz à effets de serre (GES). Alors que la plupart ont pour cible l’horizon 2050, certains se dotent d’objectifs qui défient l’imagination. C’est le cas notamment d’Apple et Microsoft, entreprises qui ont toutes deux ciblé l’horizon 2030.


ANALYSE – À l’heure actuelle, il s’agit d’objectifs quasi impossibles, mais nécessaires, qui, s’ils se réalisent, bénéficieront à l’ensemble de la société.

Yves Plourde, professeur agrégé en management à HEC Montréal et responsable pédagogique pour la Maîtrise en Management et Développement durable, s’intéresse aux enjeux environnementaux, à la transition écologique, et à la transformation des organisations en lien avec les changements climatiques.

Dans cet article, il entend clarifier pourquoi ces objectifs sont importants, leurs implications pour les organisations, et les défis inhérents à leur poursuite.

Donner un électrochoc à l’entreprise

Les objectifs quasi impossibles sont des objectifs organisationnels dont la probabilité objective d’être atteints est hautement incertaine. De plus, à l’égard des pratiques, des compétences et des connaissances actuelles, leur réalisation semble impossible.

Alors, pourquoi établir des objectifs aussi extrêmes ? Dans l’espoir d’obtenir des résultats que nuls n’auraient crus possibles. Mais encore faut-il que leur établissement soit réalisé de manière adéquate.

Le principe est simple. En se dotant d’objectifs extrêmes, on crée une crise interne dans le but d’initier le changement. On recadre l’attention de l’organisation vers des futurs possibles en envoyant un signal fort sur nos priorités. Et ceci doit normalement stimuler l’apprentissage exploratoire et forcer les employés à penser de manière créative et à voir les problèmes autrement.

En d’autres termes, on donne un électrochoc à l’organisation, pour la forcer à innover et atteindre de nouveaux sommets d’excellence.

Décarbonisation : la route est encore longue

Dans le cas d’Apple et Microsoft, les deux entreprises ont pour objectif de décarboniser l’entièreté de leurs activités d’ici 2030. Et ce virage concerne également leurs fournisseurs, qui doivent eux aussi s’engager à réduire leurs émissions pour permettre une décarbonisation de leur chaîne de valeur.

Le Gouvernement du Québec lance la Stratégie québécoise sur l’hydrogène vert et les bioénergies pour décarboner d’ici 2030.

Ces objectifs correspondent précisément à des objectifs quasi impossibles. Pourquoi ? Parce que les capacités actuelles en lien avec la décarbonisation de nos économies sont limitées, ce qui restreint l’accès à des approvisionnements de composantes et de matières premières faibles en carbone. Parmi les raisons qui permettent d’expliquer ces limitations, on retrouve l’état d’avancement général de l’électrification des transports et de la transition énergétique, et le nombre restreint d’entreprises ayant déjà fait des efforts substantiels de décarbonisation.

Bien que l’on puisse douter de la capacité d’Apple et Microsoft à atteindre leurs cibles, il y a lieu de mieux comprendre ce que ce type d’objectif implique pour une organisation.

Un chemin incertain vers un objectif clair

Une organisation s’engageant vers un objectif quasi impossible s’aventure vers l’inconnu et la nouveauté extrême. Cette nouveauté extrême nécessite d’innover à travers toutes les sphères d’activités de l’organisation.

Alors que la plupart des organisations apprennent de manière progressive, la nouveauté extrême implique un passage vers l’apprentissage exploratoire, beaucoup plus risqué. En effet, une organisation ne peut assurer sa survie qu’en performant de manière efficace à court terme, tout en se positionnant par un avenir incertain. En favorisant un apprentissage exploratoire, on sort des sentiers battus et on augmente le risque d’échec, puisque l’innovation est axée sur le long terme.

Dans le cas de la réponse aux changements climatiques, beaucoup d’incertitudes existent en ce qui concerne le coût des droits d’émissions, les coûts liés à la transition énergétique, et les solutions nous permettant d’atteindre nos objectifs de décarbonisation. Une chose demeure certaine cependant : le lien entre émissions de GES et réchauffement climatique.

Toute organisation s’engageant vers un objectif de carboneutralité s’engage donc vers un objectif clair et nécessaire, mais dont le chemin à emprunter pour y parvenir reste incertain.

Les défis inhérents à la poursuite des objectifs quasi impossibles

La poursuite des objectifs quasi impossibles comporte son lot de défis et n’est pas sans risques.

Un premier défi est de prendre conscience que ce ne sont pas tous les employés qui réagissent de la même manière à ce type d’objectifs. Alors que ces derniers peuvent motiver les employés les plus expérimentés et les plus aptes à soumettre des idées innovantes et utiles à la résolution du problème, d’autres employés verront leur capacité à mobiliser et appliquer leurs connaissances efficacement diminuer. Ces derniers se remettent alors au hasard pour soumettre leurs idées, ce qui en diminue la qualité.

Un deuxième défi est de bien évaluer la capacité de l’organisation à s’engager dans ce genre d’exercice. Sur ce point, deux éléments sont à garder à l’esprit : la performance de l’organisation et ses ressources disponibles.

Concernant la performance de l’organisation, une succession de plusieurs succès récents pourrait mieux disposer les employés vers ces objectifs, car ceux-ci seraient plus confiants dans leur capacité à atteindre les objectifs fixés. À l’inverse, l’adoption d’objectifs quasi impossibles dans une organisation ayant eu une mauvaise performance récente pourrait entraîner davantage de démotivation et avoir l’effet inverse à celui souhaité. En somme, les objectifs ne doivent pas être entièrement impossibles et les employés doivent eux-mêmes croire qu’il est possible d’y arriver.

Concernant les ressources disponibles, celles-ci représentent un élément clé de l’atteinte de ces objectifs. Par ressources, on entend l’argent, les connaissances, l’expérience, la main d’œuvre, et les équipements. Les objectifs quasi impossibles impliquent d’innover à l’extrême. Cela suggère un haut taux d’échec. Par conséquent, il faut être en mesure d’allouer des ressources à plusieurs projets différents.

Finalement, les objectifs doivent être inspirants. Leur implantation doit aussi se faire de manière cohérente et transversale, c’est-à-dire à travers l’ensemble des activités de l’organisation et non pas par département ou par fonction. De cette manière, on s’assure de favoriser la créativité et l’innovation, mais surtout de canaliser l’énergie autour des innovations les plus porteuses.

Quasi impossible doit tout de même rimer avec possible

Les cibles de réduction des GES en lien avec l’atteinte de la carboneutralité représentent, pour beaucoup d’organisations, des objectifs quasi impossibles. Malgré leur caractère extrême, ces objectifs ne sont toutefois pas dénués d’intérêt. Lorsque bien utilisés, ils peuvent stimuler l’innovation et ouvrir de nouveaux possibles.

Toutes les organisations ne sont toutefois pas prêtes à de tels objectifs. Dans ce cas, d’autres stratégies sont à prévoir, telles que la célébration des petites victoires en vue de bâtir la confiance des employés en leurs capacités. On parle par exemple, dans ce cas, de la réussite d’un premier projet de réduction des GES. Ces organisations peuvent également viser la construction d’une base de ressources inutilisées, par exemple en allouant des budgets ou des blocs de temps libres qui permettent aux employés de travailler sur des projets de décarbonisation. Ces approches sont à privilégier avant d’adopter des objectifs plus ambitieux.

Car après tout, les objectifs quasi impossibles doivent conserver une part de possible.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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