«Ça va saigner!» avait averti Rodrigo Duterte. Depuis son entrée à Malacanang, le palais présidentiel, le sang coule aux Philippines. En deux mois, près de 2 000 narcotrafiquants, petits et grands, ont été abattus par les forces de l’ordre ou les milices.
«Vous verrez les poissons grossir dans la baie de Manille car c’est là que je jetterai vos corps», avait-il lancé aux vendeurs de drogue. De peur d’être descendus en pleine rue, au moins un demi-million de toxicomanes se seraient présentés à la police.
Près de deux millions de Philippins absorbent des méthamphétamines, substances chimiques synthétiques «mises au point» au Japon en 1919.
Grâce à sa sanglante guerre contre la drogue, Duterte, 71 ans, est au zénith de sa popularité. Il se dit même prêt à exécuter ses quatre enfants s’ils étaient toxicomanes.
Sa rhétorique incendiaire – qui se résume à «tirer d’abord et poser des questions ensuite» – plaît à une grande majorité des 98 millions de Philippins.
«Didong», son surnom, a promis de démissionner au début de l’année prochaine s’il ne parvenait pas à réduire le trafic de drogue et la criminalité. Avant la fin de son mandat unique de six ans, il s’est engagé à rétablir la peine de mort par pendaison, abolie en 2006. Les droits de la personne sont le dernier de ses soucis. On le voit, il ne fait pas dans la dentelle.
Comment a-t-il pu gagner le cœur de l’électorat en mai dernier? Simplissime. Dégoût de la politique traditionnelle dans l’archipel et grand désir de changement. Cela s’inscrit dans l’actuelle poussée populiste, de droite comme de gauche, dans le monde.
Partout, les démocraties sont fragilisées. La déconnexion entre les élites politicoéconomiques et les électeurs est totale. Que demande le peuple? Non seulement du pain, mais de l’ordre. Rodrigo Duterte a fait de la question de la sécurité le cheval de bataille de sa campagne.
La montée des «hommes forts» semble inéluctable. Ils bousculent le politiquement correct, jouent sur le désespoir économique et le désenchantement politique des électeurs. Cela inquiète Yascha Mounk, chercheur à l’Université Harvard.
«Les citoyens des démocraties sont de plus en plus mécontents de leur système politique», explique-t-il dans un échange de courriels.
«C’est là un des grands dangers de l’heure. Résultat : plus que jamais, ils sont prêts à voter pour des hommes forts et populistes, qui cherchent à concentrer le pouvoir entre leurs mains et à réduire les droits des minorités impopulaires.»
Pour lui, «la montée terrifiante de ces hommes forts constitue la plus grande menace pour les démocraties».
Comme Duterte, surnommé le «Trump asiatique», ils promettent des réponses rapides, basées sur des méthodes expéditives.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il y avait une douzaine de démocraties dans le monde. Il y en a une centaine aujourd’hui. Rien n’est donc perdu. Mais les démocraties sont fatiguées, grippées. Les «hommes forts» cognent à leurs portes avec toutes sortes d’élixirs.