Antoine Char signe ici sa dernière chronique pour Métro. Toute l’équipe de la rédaction le remercie, au nom des lecteurs et des lectrices, pour l’éclairage qu’il a su jeter sur l’actualité internationale au cours des dernières années.
Ce sont des navires à l’agonie voguant d’Anvers et d’Amsterdam vers l’Afrique avec des millions de litres de carburants toxiques. Publié jeudi dernier, le rapport de Public Eye, une ONG suisse, a été peu médiatisé. Et pourtant…
Invendables dans le monde, ces produits pétroliers à haute teneur en soufre sont bon marché. Pas étonnant qu’ils se retrouvent à Dakar, Abidjan, Accra ou Lagos, déjà assombries par la pollution. Ils sont, on l’a deviné, particulièrement nocifs pour la santé. Mais qui s’en soucie? Ce sont des villes africaines…
Des villes où la qualité de l’air est parfois pire que celle de Beijing, où on suffoque pratiquement un jour sur deux. Régulièrement depuis près d’un demi-siècle, Public Eye mène des enquêtes sur les activités d’entreprises suisses dans les pays pauvres.
Diesel sale, son rapport de 164 pages, dévoile les activités peu scrupuleuses de négociants pétroliers helvètes en Afrique subsaharienne.
Ils ont un nom pour qualifier leurs produits: «qualité africaine». Cela en dit long. En aucun cas les diesels se retrouvant dans les stations-service africaines ne pourraient être commercialisés en Europe.
Les résultats du rapport de l’organisation non gouvernementale suisse sont d’ailleurs à couper le souffle : les carburants écoulés sur le continent le plus pauvre de la planète ont une teneur en soufre entre 200 et 1 000 fois plus élevée qu’en Europe.
Cela «met en danger la santé de millions de personnes», rappelle dans un échange de courriels Géraldine Vinet, responsable des communications de Public Eye.
L’enquête de trois ans menée dans huit pays (Angola, Bénin, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Sénégal, Zambie) rappelle ceci: les gouvernements africains sont aussi coupables que les traders suisses.
«Les pays africains ont pour la plupart des standards beaucoup plus faibles en matière de carburants – en moyenne, ils autorisent la présence de 200 plus de soufre que le standard européen – et c’est pour cela que les négociants peuvent vendre leurs produits», précise Géraldine Vinet.
Peu importe le degré de culpabilité de chacun, l’Afrique de l’Ouest est imbibée de pétrole brut de bonne qualité. Mais cet or noir est surtout exporté. Sa douzaine de raffineries ne suffisent pas pour répondre aux besoins d’un parc automobile en pleine croissance.
Néanmoins, 85% des véhicules vendus au sud du Sahara seraient d’occasion, consommant davantage de carburants polluants. On le voit, les négociants suisses et autres ont encore de beaux jours devant eux.
Parallèlement à ce négoce «légal mais totalement illégitime», soutient Public Eye, l’Afrique est en train de devenir le continent poubelle des ordures toxiques du monde riche, qui en produirait une centaine de millions de tonnes par année avec ses téléphones usagés ainsi que ses vieux téléviseurs, ordinateurs et appareils électroménagers, notamment.