En mars, trois journalistes ont été tués au Mexique, dont deux en plein jour, devant leur famille. Un journal a également été forcé de fermer ses portes en raison de l’insécurité. Ce ne sont que les exemples les plus récents des violences récurrentes contre les journalistes dans ce pays de plus de 120 millions d’habitants. Métro fait le point.
«Adieu!» C’est avec ce simple mot que le quotidien El Norte de Ciudad Juarez a annoncé dans sa dernière une sa décision de mettre fin à ses activités après 23 ans d’existence. Une semaine plus tôt, le 23 mars, Miroslava Breach, une de ses journalistes vedettes, avait été assassinée devant chez elle, alors qu’elle s’apprêtait à
mener son fils à l’école.
L’année 2016 avait déjà été la plus meurtrière à ce chapitre depuis qu’on compile de telles données.
«Nous avons répertorié en 2016 un total de 426 incidents qui comprend tous les types d’attaques, physiques ou matérielles, les menaces et le harcèlement. De ce nombre, 11 étaient des meurtres», explique Leopoldo Maldonado, de l’organisme Artículo 19, qui répertorie depuis 10 ans les attaques contre les journalistes au Mexique.
«Nous ne voulons pas que l’autocensure devienne une méthode journalistique. Le nombre de journalistes qui optent pour cette façon de faire est en hausse», estime Maldonado, membre de la branche mexicaine d’Article 19, une organisation non gouvernementale basée à Londres qui fait la promotion de l’Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, garantissant la liberté d’expression.
«On lance un message très clair aux assassins: rien ne va leur arriver, ils n’auront pas à rendre compte de leurs crimes. C’est pourquoi ce genre d’événement se répète.» – Leopoldo Maldonado, membre d’Artículo 19 Mexico
Pour Maldonado, «la situation mexicaine persiste parce que les mécanismes de protection ne remplissent pas leur rôle».
«Il n’y a pas de politique cohérente pour protéger la presse, poursuit-il. Au contraire, les actions individuelles des gouvernements (fédéraux et locaux) n’ont aucune constance, aucune cohérence. C’est dans ce chaos que la presse est le plus durement touchée.»
«Un des facteurs qui favorisent le plus ce type d’agression est l’impunité avec laquelle les criminels s’en tirent, ajoute Maldonado. Nous avons calculé un taux d’impunité de 99,75%, au niveau fédéral seulement. Depuis la création en 2010 du bureau du procureur général pour la liberté d’expression, seulement trois enquêtes ont été résolues. Actuellement 800 enquêtes sont en cours.
Insuffisante, l’autocensure
Entrevues avec Armando Rodriguez Luna, spécialiste mexicain des questions de sécurité et consultant pour l’ONG Freedom House, et Pascal Beltrán del Río, journaliste et responsable des pages éditoriales du journal Excélsior, animateur de radio et de télévision au Mexique.
Quelle est la situation des journalistes au Mexique?
A. R. L.: Depuis 10 ans, des attaques constantes ont ciblé les journalistes et les sources journalistiques. La distinction est importante. Les journalistes font un travail de terrain, cherchant à contacter les protagonistes de l’actualité sociale, politique ou criminelle. Dans un pays comme le Mexique, où la corruption est largement répandue, ce genre de contacts mène à des réseaux interlopes. C’est ce qui rend les journalistes très vulnérables. Ces réseaux impliquent toujours des activités criminelles. La situation est particulièrement dangereuse au niveau local. Souvent, les journalistes n’ont pas les moyens de faire face à une telle situation. Dans des États comme Tamaulipas, l’autocensure n’est plus suffisante pour demeurer en sécurité.
Quelles sont les ressources qui s’offrent aux journalistes victimes de menaces?
A. R. L.: Ils ont des ressources, mais le problème réside dans l’efficacité de celles-ci. Une des solutions serait une forme de solidarité professionnelle entre les journalistes. La profession journalistique est caractérisée par un manque de solidarité entre ses membres. Ils pourraient pourtant tenter une forme d’association avec des organismes défendant les droits de la personne, dont la liberté d’expression.
Est-ce que la fermeture d’El Norte est un acte d’autocensure pour se protéger?
P. B.: Selon moi, c’est un mélange de cela et de problèmes financiers. Les deux jouent un rôle. Mais je n’aime pas voir un journal fermer. Il s’agit de 150 emplois. El Norte a toujours été un média crédible, que j’ai consulté pour mon travail. Les citoyens de Ciudad Juarez, où les actions criminelles sont de nouveau en hausse, ont perdu une voix. Le problème n’est pas uniquement que des crimes sont commis contre des journalistes. Le problème est que des crimes restent impunis à la grandeur du pays. Lorsque des crimes graves comme les menaces, l’extorsion et les meurtres ne sont pas résolus, ils ont une grande chance de se reproduire.
Une des pires situations dans le monde
Selon Reporters sans frontières (RSF), le Mexique est le pays le plus dangereux d’Amérique latine pour les membres de la presse, avec un total de 99 journalistes tués entre 2000 et 2016.
Sur la planète, le Mexique se classait au troisième rang du plus grand nombre de journalistes tués (9), derrière l’Afghanistan (10) et la Syrie (19).
Dans son classement mondial de la liberté de presse établi en 2016, l’ONG octroyait la 149e place sur 180 au Mexique, juste derrière le Pakistan et la Russie.