Les Libanais éliront leurs députés, dimanche, pour la première fois depuis neuf ans. Ces élections sont marquées par une mobilisation inédite de candidats anti-système issus de la société civile, qui ne devraient pourtant pas bousculer les partis traditionnels.
Dimanche, les 128 sièges de l’assemblée parlementaire seront remis entre les mains des Libanais, qui pourront élire pour la première fois des candidats issus de la société civile. Ceux-ci rejettent en bloc les logiques de partis et les regroupements sectaires.
Wadih Al-Asmar fait partie du groupe de militants à l’origine de la coalition Kuluna Wattani, littéralement «le pays c’est nous», qui présentera 66 candidats dans 9 circonscriptions sur les 15 que compte le pays.
«Ces candidats cherchent à offrir une nouvelle alternative politique, une nouvelle façon de faire de la politique de façon plus transparente et plus directe. Ils ont tous des programmes réalisables et ils veulent du changement», plaide-t-il, en espérant que ces candidats puissent arriver au parlement pour «renouveler la vie politique libanaise».
En tout, c’est près de 90 candidats indépendants qui vont tenter de devenir députés. Jamais le Liban n’aura vécu une telle effervescence de nouveaux candidats qui s’opposent au système politique actuel, basé sur l’appartenance aux groupes religieux qui composent le Liban.
«Il y a un déficit d’espace sécularisé non confessionnel. Personne ne peut dire qu’il est citoyen libanais sans que l’affiliation sectaire ou communautaire soit dominante», déplore le directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la chaire Raoul-Dandurand, Sami Aoun.
«Ces candidats sont venus avec une dynamique de réforme, les autres sont là pour perpétuer leur pouvoir et essayer de le maintenir en renforçant leur bloc parlementaire», avance pour sa part Janine Jalkh, journaliste politique pour le quotidien francophone libanais L’Orient-Le Jour.
Indépendants et libres de toute ligne de parti, ces candidats disent tout haut ce que la société libanaise pense tout bas. Ils dénoncent l’incapacité du gouvernement à régler des problèmes d’infrastructures importants, comme l’accès à l’eau potable ou l’électricité défaillante, mais aussi la corruption qui gangrène le pays.
Une réforme qui rate la cible
Approuvée par le parlement en juin 2017, la réforme électorale a créé un système hybride entre le scrutin proportionnel et préférentiel, un changement qui a permis à certains candidats de rêver de renouveler la vie politique libanaise.
Pourtant, au Liban, pays d’alliances politiques, de clientélisme et de vote stratégique, cette réforme a renforcé du même coup l’emprise des partis traditionnels sur leur territoire historique.
Grâce à un nouveau découpage électoral qui favorise le vote communautaire, les gros partis risquent de sortir vainqueurs de ces législatives, sauf surprise majeure. Pour y parvenir, précise la journaliste, les candidats des partis traditionnels sont prêts à faire des alliances «contre nature».
Un avis que partage Sami Aoun. «Sauf exception, toutes les alliances et les coalitions se font selon un calcul numérique pour avoir plus de chance d’avoir des votes et envoyer des députés au parlement. Par exemple, les forces du 14 mars [la coalition sunnite et chrétienne du premier ministre sortant, Saad Hariri] et les forces du 8 mars [affiliées au Hezbollah chiite] sont mélangées dans les alliances», illustre-t-il.
Un paradoxe de taille qui semble annuler les effets escomptés de la proportionnelle et jouer contre les candidats indépendants. «Les grandes figures de ces mouvements se retrouvent dans des listes marginales qui n’arriveront pas à avoir le score minimal pour entrer au parlement, ou alors elles se sont ralliées aux leaders confessionnels qui sont les plus populaires dans leur communauté», explique M. Aoun.
Pour la journaliste Janine Jalkh, cette réforme électorale a été faite «calculatrice à la main», pour essayer de satisfaire toutes les demandes.
«On a le scrutin proportionnel d’un côté, mais qui est largement atténué par ce qu’on appelle le vote préférentiel qui neutralise les effets de la proportionnelle pour verrouiller le système et garantir aux grands chefs de percer», explique la journaliste.
Une entrave démocratique que tient à relativiser Sami Aoun. «Le Liban peut être fier d’un exercice démocratique qui est une perle rare dans l’espace moyen-oriental arabe», nuance-t-il.
L’espoir d’un changement
Même s’ils ont peu de chance de faire la différence, les indépendants espèrent au moins créer une étincelle. «Nos statistiques disent qu’on va prendre entre trois et sept sièges», prévoit Wadih Al-Asmar. Pour lui, voir pour la première fois autant de nouveaux candidats constitue déjà une victoire.
«Le fait d’avoir ces nouveaux candidats a déjà fait bouger les choses, ç’a poussé les partis politiques à faire campagne et ç’a augmenté un peu le niveau d’engagement des uns et des autres», confie-t-il.
S’il est certain que ces candidats ne formeront pas une majorité au parlement, Wadih Al-Asmar croit que cette expérience va poser les jalons d’une nouvelle voie politique au Liban et, pourquoi pas, les bases d’un parti «qui transcende les divisions confessionnelles du pays».
Les puissances régionales sont toujours là
Le Liban «est toujours un lieu de confrontation, de compétition, de polarisation entre l’Arabie saoudite et l’Iran», la puissance régionale chiite, affirme Sami Aoun.
Par exemple, le premier ministre, Saad Hariri, a été confronté à l’influence des Saoudiens lors d’un séjour à Riyad, à l’automne 2017. Dans un discours que personne n’attendait, il a été obligé d’annoncer sa démission et son retrait du gouvernement, blâmant la «mainmise» du Hezbollah. «Le président Michel Aoun avait un discours anti-Saudiens à un certain moment, alors ils étaient furieux et contrariés, et ils ont fait un geste peu commode, anti-protocolaire», contextualise Sami Aoun.
«Hariri a finalement gardé le pouvoir et a repris la marge de manœuvre qu’il avait au début et il a convaincu les Saoudiens que sa façon de faire était la bonne, affirme-t-il. Mais Hariri a compris le message qu’il ne pouvait pas défier le pourvoyeur d’argent le plus important pour lui: l’Arabie saoudite.»
De son côté, le Hezbollah, allié libanais de l’Iran, reste «un des acteurs les plus influents et les plus décisifs au Liban», signale le politologue. Cette présence ne semble pourtant pas créer la panique en Israël, antagoniste virulent de l’État perse. «Les Israéliens n’ont pas vraiment peur du Hezbollah, ils le voient comme un acteur rationnel qui a à cœur les intérêts de sa communauté et ils ne vont pas s’aventurer dans une guerre mutuellement destructrice.»
Reste à voir, désormais, la réaction américaine en cas d’une victoire (incertaine, souligne M. Aoun) du Hezbollah. «Il faut s’attendre à une nouvelle stratégie américaine, prédit-il. Ils ont imposé des sanctions au Hezbollah, mais le groupe a su éviter les dommages. Toutefois, si les États-Unis rejettent l’entente sur le nucléaire iranien, on ne peut pas savoir ce qui va se produire.»