Pour recharger leurs batteries dans la « ville qui ne dort jamais », il y a longtemps que les New-Yorkais font grosse consommation d’expressos ou de savants cocktails de légumes pressés. Aujourd’hui, ils découvrent aussi les vertus de la sieste.
Ils avaient déjà à leur disposition de nombreux studios de yoga ou de méditation. Pour surmonter la fatigue générée par un environnement professionnel ultra-concurrentiel et des trajets domicile/travail à rallonge, un certain nombre d’entre eux ont également succombé à la mode du thé matcha et à celle du kava, un breuvage anti-stress très en vogue concocté à partir d’une racine.
Désormais, ce sont les cabines à sieste qui fleurissent à New York, comme dans d’autres métropoles américaines.
Parmi les plus grandes installations, celles de Nap York ont ouvert en février, dans un bâtiment de trois étages près de Times Square. Moyennant 12 dollars, on peut y louer pour une demi-heure une petite cabine individuelle en bois, à toute heure du jour ou de la nuit.
Le succès n’a pas tardé: de sept cabines, Nap York est vite passé à 22. Et une section de six hamacs, louables pour 15 dollars la demi-heure, ouvrira bientôt sur le toit du bâtiment.
« C’est très difficile de trouver la paix et la tranquillité à New-York », souligne Stacy Veloric, directrice marketing de Nap York. « Nous voulions pouvoir accueillir les New Yorkais épuisés. »
Un dollar la minute
Selon le Centre de prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention), un tiers des Américains ne dorment pas suffisamment. Avec pour conséquences des problèmes d’humeur et de concentration, une productivité réduite, des absences… et un coût pour l’économie américaine allant jusqu’à 411 milliards dollars par an, selon une étude de 2016 de la Rand Corporation.
Laura Li est de ceux qui préfèrent 35 minutes de sieste à une tasse de café.
Correctrice dans un magazine de voyages, cette femme de 28 ans fait la sieste chaque semaine chez YeloSpa, un luxueux centre de soins qui, depuis 11 ans, offre des cabines dédiées à ce temps de repos.
Mme Li pénètre dans une cabine hexagonale baignée d’une lumière violette: telle une astronaute, elle s’étend sur un matelas incliné, pieds en l’air, pour réduire le rythme cardiaque et faciliter l’endormissement.
Dans 35 minutes, elle se réveillera grâce à « un lever du jour simulé », explique Maya Daskalova, gérante du YeloSpa de la 5e Avenue, tout proche de la célèbre Trump Tower.
Prix de ce sommeil réparateur: un dollar la minute, avec un minimum de 20 minutes et un maximum de 40.
« Je viens les jours où j’ai beaucoup de travail, juste pour avoir plus d’énergie le reste de l’après-midi. Car je ne bois pas de café et, quand je suis fatiguée, je ne peux pas faire autrement que de dormir un peu », dit Mme Li.
Elle ne dit pas à ses collègues qu’elle part faire la sieste à l’heure du déjeuner. Mais elle en a parlé à des amis, qui ont souvent trouvé étrange qu’elle veuille payer pour dormir.
Beaucoup y voient « une perte de temps et d’argent », dit-elle. « Mais pour moi, tant que je peux me le permettre, ça vaut le coup. Je me sens simplement mieux après, et c’est suffisant. »
Changement d’attitude
Mme Daskalova, la gérante du YeloSpa, estime que la société est en train de changer. « Se remettre en forme pour le reste de la journée est bien meilleur que de s’effondrer à son bureau », dit-elle.
Qui sont ces nouveaux adeptes de la sieste ? Il y a ceux qui travaillent de longues journées; ceux qui vivent loin de Manhattan et font une pause avant d’enchaîner avec un dîner; les femmes enceintes; les parents avec bébés qui ont fait une nuit blanche; les fêtards qui n’ont pas fermé l’oeil de la nuit…
Avec en tête lui aussi le manque chronique de sommeil, Christopher Lindholst a créé dès 2004 la société MetroNaps, qui fabrique des « capsules d’énergie » dans lesquelles on peut s’isoler pour dormir.
Les premières ont été installées dans l’Empire State Building, mais ont ensuite été retirées à cause du renforcement des mesures de sécurité du célèbre gratte-ciel.
Depuis, la société vend ses capsules à des entreprises, des universités, des hôpitaux, des aéroports… « En 15 ans, l’attitude des gens a complètement changé », dit M. Lindholst, « il y a une plus grande prise de conscience de l’importance du sommeil et de ses bénéfices. »
Mais pour surmonter les préjugés sur la sieste, souvent associée à la paresse, « cela prendra toute une génération », estime-t-il, « alors même que la sieste ne dure que 10 à 20 minutes, pas plus qu’une pause-cigarette ou une pause-café. »
Une de ses capsules trône désormais dans les bureaux new-yorkais de la nouvelle société de bien-être « Thrive Global » d’Arianna Huffington.
Dans son livre à succès La révolution du sommeil (2016), la célèbre co-fondatrice du Huffington Post soulignait la nécessité d’en finir avec « l’illusion qu’il faut s’épuiser pour réussir ».