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Une alliance fondée sur le pétrole, les armes et l’Iran

Demonstrators dressed as Saudi Arabian Crown Prince Mohammed bin Salman and US President Donald Trump (C) pretend to kiss outside the White House in Washington, DC, on October 19, 2018, demanding justice for missing Saudi journalist Jamal Khashoggi. (Photo by Jim WATSON / AFP)

Le meurtre du chroniqueur saoudien Jamal Khashoggi, le 2 octobre à Istanbul, en Turquie, révèle indirectement le soutien presque indéfectible des États-Unis à l’Arabie saoudite. Au-delà des déclarations publiques, le pouvoir saoudien se sait protégé  par son puissant allié grâce à ses importants achats d’armes, son contrôle sur les prix du pétrole et sa haine de l’Iran.

Le pétrole dans  les veines

Après un long silence, l’Arabie saoudite est sortie de son mutisme pour expliquer la disparition soudaine de Jamal Khashoggi, chroniqueur critique du pouvoir saoudien, après qu’il soit entré dans le consulat de son pays en Turquie.

Le procureur général d’Arabie saoudite a évoqué pour la première fois hier l’idée que le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi ait été «prémédité» par ses auteurs.
Après avoir nié sa mort, les autorités saoudiennes, sous la pression internationale, avaient avancé plusieurs versions. Elles évoquaient d’abord une «bagarre» ayant mal tourné, puis une opération «non autorisée» et dont le prince héritier Mohammed ben Salmane, considéré comme l’homme fort du royaume, n’avait «pas été informé».

Au total, 21 suspects ont été interpellés par le royaume. Ces suspects ont aussi été la cible de sanctions américaines et britanniques, geste plutôt symbolique puisque ces derniers sont probab

Vigile organisée près du consulat où Jamal Khashoggi a été vu la dernière fois.(AP Photo/Emrah Gurel)

lement déjà en prison en Arabie saoudite.

«L’Arabie saoudite est le régulateur des prix dans le monde : en augmentant la production, elle fait baisser les prix; en réduisant la production, elle fait monter les prix», expose le chercheur Samir Saul, du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Mont­réal. Pour lui, la relation historique qu’entretiennent le royaume d’Arabie et les États-Unis a toujours été, au moins en partie, basée sur la disponibilité des vastes ressources d’hydrocarbures cachées dans le sous-sol de la péninsule arabique.

Toutefois, les États-Unis sont aujourd’hui les troisièmes plus grands producteurs mondiaux d’hydrocarbures. Pourquoi continueraient-ils à se plier à la volonté d’un État que certains qualifient de «voyou»?

«Ce qui est demandé par les États-Unis, c’est d’augmenter la production, afin de faire baisser les prix, en prévision des sanctions qui vont être imposées à l’Iran en novembre, car il y aura moins de pétrole et les prix vont ­augmenter», explique M. Saul.

«Le pétrole est beaucoup plus important aux yeux des Américains que la vie de Khashoggi.» – Samir Saul, professeur d’histoire des relations internationales à l’UdeM

Le président américain, Donald Trump, aurait donc besoin de l’appui des Saoudiens pour donner l’impression que sa présidence a un effet positif sur l’économie, à quelques semaines des élections de mi-mandat.

D’ailleurs, le ministre de l’Énergie saoudien, Khaled al-Faleh, a annoncé mardi que son pays allait augmenter sa production de pétrole. «La pression américaine porte non pas sur Khashoggi, ça, c’est presque une question secondaire. Elle porte sur la question pétrolière», ajoute Samir Saul, qui croit que les États-Unis voient dans la chute de popularité de Mohammed Ben Salmane, accusé d’être lié au meurtre de Jamal Khashoggi, un levier supplémentaire pour influencer la politique pétrolière saoudienne à leur avantage. Avec l’AFP

Le besoin de vendre des armes

Le royaume dispose d’un autre levier important pour s’assurer le support des États-Unis : l’achat d’armes. «L’Arabie saoudite est un grand importateur d’armes, elle donne de très plantureux contrats à des pays qui sont leurs alliés», affirme Samir Saul.

De son côté, le chercheur en sciences politiques à la chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM Julien Tourreille fait valoir l’importance pour le président américain de marquer des points politiques, à quelques semaines des élections de mi-mandat aux États-Unis. «Donald Trump aime montrer qu’il est capable de conclure des ententes incroyables, suggère-t-il. Il est nécessaire pour lui de montrer qu’il a réussi à sauvegarder de bons emplois.»

«Mais l’Arabie saoudite n’a pas besoin d’armes. Elle ne sait même pas les utiliser. Les armes, ce sont des cadeaux, donnés à ses alliés et aux industries militaires occidentales», lance M. Saul, qui souligne que ces contrats sont plutôt une offensive diplomatique.

La question de la vente d’armes à l’Arabie saoudite est revenue dans l’actualité cet été, lorsqu’un missile lancé par l’Arabie saoudite, mais fabriquée par la compagnie américaine Lockheed Martin, a tué 40 enfants au Yémen, pays où les Saoudiens sont engagés dans une guerre sanguinaire contre les rebelles houthis, soutenus par l’Iran.

«Les demandeurs en matière de contrats, ce sont les pays occidentaux, puisqu’ils en ont besoin pour faire vivre leurs industries militaires», tranche Samir Saul, du CÉRIUM.

Une dépendance stratégique

Si les relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite ont une forte teneur économique, le volet stratégique n’est toutefois pas à négliger. «Le nœud du problème, c’est la dépendance des États-Unis à une relation qui est d’une importance stratégique incontournable», lance Julien Tourreille.

Les visées des Américains au Moyen-Orient se concentrent sur des politiques anti-iraniennes. «Donald Trump adhère à une vision qui est répandue au Moyen-Orient chez les sunnites, à l’effet que l’Iran serait une puissance déstabilisatrice dans la région», affirme-t-il.

Pour lui, la présidence de Donald Trump s’est démarquée de celle de ses prédécesseurs, entre autres par son approche des problèmes du Moyen-Orient.
«Les Saoudiens disent : “Vous devez garder une bonne relation avec nous puisque c’est grâce à nous que la région est stable et qu’on pourra avancer des dossiers qui vous intéressent, notamment le conflit israélo-palestinien”», explique M. Tourreille.

Ce qui pourrait arriver, si les preuves s’accumulaient contre Mohammed Ben Salmane, ce serait que les États-Unis choisissent de garder leur relation avec l’Arabie saoudite, mais sans «MBS». «La Turquie pourrait sortir des informations qui rendraient la situation encore pire qu’elle ne l’est aujourd’hui et il va falloir se débarrasser de lui», prévoit Samir Saul.

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