Sur des décennies, 10 000 enfants ont été abusés par des membres de l’Église catholique dans au moins 12 pays, d’après les données fournies par l’organisme international Ending Clergy Abuse (ECA). Malgré le nombre déjà important de victimes et le fait que le Vatican soit informé depuis 1963 de l’existence de ces crimes, de plus en plus de cas d’abus sont révélés publiquement.
Le pape François a même dû présenter ses excuses en août dernier, reconnaissant que l’Église n’a pas agi quand il le fallait. Cette déclaration n’a surpris personne, l’Église ayant tout fait pour éviter de présenter publiquement le fruit de ses enquêtes internes. En outre, les autorités religieuses imposent très peu de sanctions aux agresseurs et évitent d’avertir la police. Par exemple, l’ancien archevêque émérite de Washington Theodore Edgar McCarrick, de même que sept évêques chiliens, ont démissionné de leurs fonctions cette année.
«Considérant le passé, ce qu’on peut faire pour demander pardon et réparation du dommage causé ne sera jamais suffisant. Considérant l’avenir, rien ne doit être négligé pour promouvoir une culture capable non seulement de faire en sorte que de telles situations ne se reproduisent pas mais encore que celles-ci ne puissent trouver de terrains propices pour être dissimulées et perpétuées. La douleur des victimes et de leurs familles est aussi notre douleur. Pour cette raison, il est urgent de réaffirmer une fois encore notre engagement pour garantir la protection des mineurs et des adultes vulnérables.» – François
«L’Église catholique est une institution hiérarchique. [Ces crimes] ont été passés sous silence pendant des siècles, explique l’historien chilien spécialiste de l’Église catholique Marcial Sanchez Gaete. Ç’a créé une culture dans laquelle ces inconduites étaient cachées et provoqué une des pires crises de toute l’histoire de l’Église.» «Il y a certains pactes du silence qui ont permis à l’Église catholique de demeurer dans l’ombre, sans révéler ses processus internes, ajoute-t-il. Elle cachait l’identité des victimes. En ne donnant pas les informations importantes aux entités compétentes pour que justice soit faite, elle a retardé les enquêtes policières en plus de protéger les criminels.»
D’après l’avocat de l’Association des juristes d’Angleterre, David Greenwood, qui a travaillé sur des dossiers d’agressions sexuelles impliquant des religieux, «l’Église catholique continue de mener des enquêtes dont les conclusions ne sont pas transmises aux autorités, ce qui permet de garder le secret.»
La tâche devient encore plus ardue pour les lanceurs d’alerte quand les agresseurs sont protégés. «Nous savons qu’en Irlande, l’Église catholique est en communication avec les autorités, ce qui fait en sorte qu’ils se soutiennent mutuellement. La situation est plus inquiétante en Amérique latine et en Afrique, parce que les institutions ne sont pas solides», renchérit-il.
Le pape François a-t-il été convaincant pour éviter que ces crimes ne se reproduisent, mis à part ses excuses et l’admission des fautes de l’Église? D’après M. Greenwood, la déclaration du souverain pontife n’a rien donné. «Suggérer qu’il a fait son travail est illusoire. Il est complètement ignoré par les Nations unies. Rien n’a changé : de nombreux enfants demeurent vulnérables face à des religieux protégés. Ça suggère que, si vous voulez abuser d’un enfant, la meilleure façon est de devenir prêtre», dénonce l’avocat.
M. Sánchez Gaete n’est pas du même avis. «Après avoir été avisé de l’ampleur des abus, le pape François a maintenu la politique de tolérance zéro instaurée par Benoit XVI, soutient-il. Mais c’est clair que l’appareil institutionnel de l’Église ne répond pas adéquatement à la crise actuelle. Il est donc nécessaire que le pape adopte une attitude plus proactive.»
«Pendant trop longtemps, les abus ont été niés. Ils ont détourné le regard. Ils ont été ainsi cachés. Pour tous ces manquements et toute cette souffrance, je m’excuse.» – Max Reinhard, président de la Conférence épiscopale allemande
L’avis de M. Greenwood, selon lequel l’Église catholique n’ira pas plus loin dans la recherche de la justice, est très partagé. «Ce qu’il faut faire, c’est convaincre les procureurs qu’ils doivent poursuivre en justice les agresseurs et ne pas les laisser davantage dans l’impunité», insiste-t-il.
«L’espoir de justice ne doit pas être perdu, mais l’Église catholique a longtemps vécu dans un imaginaire de perfection, oubliant souvent que des hommes et des femmes luttent constamment contre les difficultés de leur réalité», réplique Marcial Sánchez Gaete.
«Une institution arriérée»
Comment avez-vous aidé les survivants et quelle est leur position sur les dernières mesures prises par l’Église catholique?
Nous organisons des groupes de soutien afin d’offrir aux survivants un espace confidentiel et sécurisant dans lequel ils peuvent partager leurs expériences, où ils sont crus et où ils peuvent poursuivre leur cheminement vers la guérison. Nous travaillons également à dénoncer les crimes sexuels commis par le clergé en utilisant les informations que les survivants nous apportent et qu’ils souhaitent rendre publiques.
À l’heure actuelle, c’est un moment crucial pour l’Église catholique aux États-Unis, car elle a perdu une réelle occasion de se réformer lors de la réunion des évêques catholiques américains en novembre. Et bien que les mesures qu’ils ont proposées aient été, bien gentiment, des demi-mesures, elles constituent au moins un pas dans la bonne direction. Nous pensons toutefois que seules des enquêtes indépendantes menées par des services policiers permettront de faire toute la lumière sur ce scandale aux États-Unis.
Croyez-vous que les derniers cas signalés dans votre pays et au Chili pourraient inciter l’Église catholique à prendre des mesures sérieuses pour remédier à ce problème?
Malheureusement, étant donné l’ingérence du Vatican, il est difficile de croire que les plus hauts responsables de l’Église vont prendre cette crise aussi au sérieux qu’ils le devraient. Depuis des décennies, les évêques sont au courant de ces crimes et s’emploient activement à les cacher. Nous ne savons pas quel sera le moment décisif pour l’Église, mais nous savons que le rapport du grand jury de Pennsylvanie a été un moment décisif pour les citoyens, puisque 19 États ont ouvert des enquêtes sur des crimes sexuels commis par des religieux. Ce sont des mesures sérieuses qui nous enthousiasment.
Que pensez-vous de la position du pape François?
Le pape a dit de bonnes choses publiquement, mais ses actions n’ont jamais coïncidé avec ses paroles. Nous ne pouvons pas compter sur le pape François pour discipliner correctement les évêques qui ont dissimulé des crimes.
Malgré les mesures prises dans de nombreux pays, pourquoi des agresseurs restent-ils impunis?
Lorsqu’un enfant est abusé, ça prend souvent plusieurs années, voire des décennies, avant qu’il s’ouvre et parle de ce qu’il a vécu. Et quand l’accusé est un prêtre apprécié de sa communauté, la victime est difficilement crue. Avec les législations en vigueur, notamment sur les délais de prescription, cela fait en sorte qu’il est ardu pour les victimes d’obtenir justice devant les tribunaux.
Nous croyons que les positions entourant les abus sexuels sont en train de changer et que de plus en plus de personnes reconnaissent ces crimes, mais aussi l’ampleur de la crise. Nous pensons que ce changement de paradigme aidera les victimes qui ont souffert en silence.
Pourquoi l’Église catholique n’a rien fait pour aider les victimes?
Les institutions comme l’Église catholique sont puissantes, arriérées et elles commandent le respect. Quand il y a un risque qu’il y ait une ombre au tableau, des personnes se chargent de protéger sa réputation. Les responsables de l’Église préfèrent croire qu’il y a de mauvaises personnes ici et là et blâmer des individus, plutôt que de faire face aux faits, à savoir qu’il y a quelque chose de culturel dans l’Église qui a permis à cette crise de se poursuivre pendant des décennies. Le refus d’accepter qu’il y ait quelque chose qui cloche dans la culture de l’Église a permis à des évêques d’ignorer plus facilement le problème.
Abus dans d’autres institutions religieuses
Il a été révélé cette année que plus d’abus ont été perpétrés par des enseignants bouddhistes. Ils se sont regroupés avec le mot-clé #MeTooGuru. Douze victimes sont à l’origine d’une rencontre avec le dalaï-lama survenue en septembre. Le leader spirituel a confié avoir été avisé de ces crimes dans les années 1990.
Depuis l’an passé, plusieurs cas d’abus sexuels dissimulés ont été rendus publics dans des pays où il y a des communautés de l’Église anglicane. En Australie, par exemple, il y a eu 1 082 cas.