Au cœur de l’Amazonie péruvienne, une poignée de professeurs luttent pour la survie culturelle de leur peuple.
À Puerto Esperanza, un village ashéninka de 400 âmes sur la sinueuse rivière Ucayali, c’est l’enseignant qui fait l’école buissonnière. «Parti en ville, il disait être malade, explique un groupe de femmes assises dans l’herbe. De toute façon, c’est un ivrogne.»
Ronaldo Sanchez, le stagiaire de 24 ans du centre Nopoki, encore inexpérimenté, doit s’occuper seul de la classe d’une vingtaine d’élèves, âgés de 6 à 12 ans, pendant que l’instituteur, originaire d’une autre région, a pris congé aux frais de la république.
Ronaldo semble un peu nerveux. «J’essaye de prendre la situation avec sang-froid, même si plusieurs des jeunes sont des membres de ma famille. C’est surtout la fierté d’enseigner dans ma langue maternelle auprès des miens qui me motive à persévérer.»
Comme dans des centaines de villages autochtones de l’Amazonie péruvienne, la population de Puerto Esperanza, en plus d’éprouver des problèmes de malnutrition et d’eau potable, souffre de graves retards scolaires. Le taux d’analphabétisme chez les plus de 15 ans est de 11,8 % chez les hommes et de 28,1 % chez les femmes.
L’absentéisme des enseignants figure parmi les causes importantes de ce déficit dans la réussite scolaire. «Dans mon village natal, les jeunes terminent leur secondaire, fondent des familles, puis vivent aux dépens des compagnies forestières, raconte Remigio Zapato Cesareo, professeur au centre universitaire Nopoki, une école qui forme de futurs enseignants autochtones. Je veux que mon peuple puisse aller à l’université pour se développer, mais pour cela, il nous faut d’abord des enseignants responsables qui montrent le bon exemple.»
Le professeur Zapato, un des 5 000 locuteurs du yiné, une langue de l’Amazonie péruvienne, est conscient que l’assimilation menace les cultures autochtones. «Dans la vie de tous les jours, l’espagnol, et même l’anglais, occupent une place prédominante. La transmission de ma langue est une question de résistance», plaide-t-il.
Situé à Atalaya, sur la rivière Tambo, Nopoki offre une formation d’enseignement au primaire à près de 250 étudiants autochtones des peuples shipibo, ashaninka, ashéninka et yiné.
L’investigateur du projet, l’évêque catholique Gerardo Zerdin, croit que le système d’éducation tel qu’il est pratiqué par l’État péruvien dans l’Amazonie contribue à l’acculturation des minorités linguistiques plutôt qu’à leur développement académique.
«Lorsqu’un enseignant hispanophone unilingue de la capitale vient donner ses classes dans une école prétendument bilingue, il y a une importante barrière culturelle et linguistique à franchir. Il en résulte que le jeune indigène perd peu à peu son identité.» L’objectif avoué de Nopoki est de former des enseignants qui soient des «moteurs de changement» pour leur communauté.
En décembre dernier, une seconde cohorte d’une vingtaine d’étudiants a été diplômée. Présentement, ils terminent leur formation en vue d’obtenir une licence d’enseignement avant de prendre le bateau vers leur communauté respective.
Sur le campus, de jeunes visages rieurs circulent en scooter, un sac sur l’épaule et vêtus à l’occidentale ou en costume traditionnel, entre le potager, la basse-cour et les étangs. Au centre Nopoki, la formation des étudiants s’accompagne d’ateliers de production agricole, de cuisine, de couture et de charpenterie pour les préparer à partager leurs connaissances une fois de retour dans leur village.
Dimas, un étudiant ashaninka du village de Torinomashi, aspire à devenir enseignant pour améliorer le sort des siens. «Pour changer notre communauté, il faut commencer par changer soi-même. On doit apprendre tout ce qu’on peut ici et le reproduire chez nous.»
Projet Nopoki : un organisme québécois impliqué
Même dans cette région éloignée de l’Amazonie, le Québec est présent.
Les Ailes de l’Espérance, un organisme d’ici qui œuvre au Pérou depuis plus de 40 ans, a apporté son soutien au centre Nopoki en construisant un système d’approvisionnement en eau potable inauguré en juillet 2011.
«Dans l’optique d’un développement durable, la création du Centro Nopoki nous est apparue une priorité, observe le président de l’organisme, André Franche. La formation de professeurs autochtones pour les écoles autochtones de l’Amazonie répondait à un besoin des plus pressants. Voilà pourquoi, dès le début, nous avons travaillé en collaboration avec son principal promoteur, Mgr Gerardo Zerdin.»