L’Arctique se réchauffe, et le Groenland a le regard tourné vers son indépendance économique, lui qui aspire à devenir un acteur majeur dans le marché mondial des minerais. Mais en forant leur territoire pour en extraire les ressources qui y sont enfouies, les Groenlandais risquent de changer leur pays – pour le meilleur et pour le pire.
Sillonnant en traîneau la mer glacée du fjord de Tasiilaq, à l’est du Groenland, mon guide, un chasseur de phoques inuit aux joues rosées, presse sa meute de 14 chiens vers les montagnes à l’horizon. Soudain, une motoneige nous dépasse, filant comme une flèche. «Aujourd’hui, les jeunes les préfèrent aux traîneaux à chiens», me dit Dines Mikaelsen, gesticulant avec son fouet en peau de phoque vers le véhicule qui disparaît déjà au loin.
Ce moment résume en une seule métaphore le pays lui-même. Le Groenland, cette nation arctique autonome de 57 000 âmes incluse dans le royaume danois, fortifie son économie traditionnellement faite de pêche et de chasse en piochant dans son sous-sol riche en minerai. «Par le passé, nous comptions principalement sur la pêche, ce qui rendait notre économie très fragile», disait la première ministre groenlandaise, Aleqa Hammond, aux journalistes le mois dernier. «Nous devons stabiliser notre économie, et nous le ferons grâce à l’exploitation minière.»
Pour démarrer la ruée vers l’or du Groenland, le gouvernement entend en finir avec sa politique de «tolérance zéro» relative à l’extraction d’uranium, ce qui ouvrirait la porte à l’exploitation de métaux rares qui entrent dans la fabrication de téléphones intelligents, d’ordinateurs portables et d’autres appareils électroniques. La production d’un site minier comme Kvanefjeld, le plus grand dépôt de métaux rares au monde, permettrait au Groenland de mettre fin au monopole chinois sur ces ressources – la Chine contrôle en effet 90 % de ces minerais. Les plus récentes études géologiques révèlent même que le sous-sol groenlandais contient suffisamment de terres rares pour satisfaire le quart de la demande mondiale dans l’avenir.
Toutefois, l’extraction de terres rares implique l’extraction d’uranium – ce qui pourrait menacer la nature immaculée du Groenland, selon les critiques. «Si des particules radioactives échouent dans nos fjords, nous aurons du mal à qualifier nos eaux et nos poissons de plus purs de la planète», dit Mikkel Myrup, le directeur d’Avataq, un groupe environnemental local qui coordonna en avril dernier une protestation menée par 48 ONG qui dénonçaient la fin du moratoire sur l’extraction d’uranium. «Aussi longtemps qu’il y aura des gens pour dire que c’est dangereux, je n’accepterai jamais ça», affirme Avaaraq Olsen, un enseignant de 28 ans vivant dans le village de Narsaq, à quelques kilomètres de distance du site de Kvanefjeld.
Pendant ce temps, le propriétaire du site a minimisé les risques avant même que les rapports finaux sur les impacts écologiques aient été rendus. «Cet appel fait par Avataq a propagé beaucoup de peur. L’idée d’une dévastation apocalyptique montre clairement le manque de compréhension du fonctionnement de projets comme ceux-là», raconte à Métro Rod McIllree, directeur de l’entreprise australienne Greenland Minerals and Energy. «Mais tout doit être mis dans la perspective plus large que le Groenland a besoin d’une industrie minière.»
Lorsqu’il produira à pleine capacité, les redevances du site de Kvanefjeld devraient augmenter le PIB du Groenland de 20 %, prédit McIllree. Ce faisant, cet argent pourrait aider le pays à devenir moins dépendant du Danemark, qui subventionne près de la moitié du budget total de l’île. L’indépendance face à l’ancien maître colonial est une perspective alléchante pour le Groenland, où près de 90 % de la population est formée d’Inuits. «J’espère qu’un jour le Groenland sera indépendant – un espoir que beaucoup de Groenlandais partagent», raconte Ingo Hansen, qui gère une boutique de vêtements pour hommes dans la capitale, Nuuk. «Mais notre économie doit s’améliorer avant que ça arrive.»
Étant donné l’éparpillement de la population groenlandaise sur un immense territoire, le professeur Olsen redoute ce à quoi pourrait ressembler l’indépendance du pays. «Je pense que c’est très important de ne pas être aveuglé par le mot «indépendance». Car qu’est-ce qui arrivera lorsque tous les minéraux seront extraits? Qu’est-ce qu’il adviendra alors du Groenland?»
Réchauffement climatique : à la fois occasion à saisir et désastre pour le Groenland
En raison des changements climatiques, les températures augmentent et les étés rallongent, ce qui, selon les habitants, rend le Groenland plus vert. Pendant 14 ans, Ferdinand Egede a cultivé la terre de son village, Eqaluit Ilua, dans le sud du Groenland. «En 1999, j’avais planté deux tonnes de patates. Aujourd’hui, j’en plante sept», dit Egede. Les récoltes de pommes de terre ont atteint 150 tonnes dans la région en 2012, soit le double d’il y a 4 ans.
Les changements climatiques menacent cependant le symbole du pays. «De plus en plus d’ours polaires viennent jusque dans les villes pour chercher de la nourriture, parce que la réduction de la mer de glace les empêche de chasser», explique Mikkel Myrup, chef du groupe local d’Avataq. «Mais la hausse des températures pourrait ramener les bancs de morues. Nos sentiments sont ambivalents à propos du réchauffement climatique.»
La culture de la patate permet de moins dépendre de la nourriture importée. / nunalerineq.gl/MWN
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Grœnland
- Taille. La deuxième plus grande île après l’Australie – environ la moitié de la superficie des États-Unis.
- Population. 57 000 – pays le moins densément peuplé du monde.
- Relation avec le Danemark. En 1979, le Groenland se voit accorder l’autonomie, mais le Danemark contrôle encore sa politique étrangère et sa défense. Le Groenland reçoit une subvention danoise de 3,5 milliards de kroner (588 M$) par année.
- Pourquoi ce nom? Quand le viking Erik le Rouge a découvert l’île en 982 après Jésus-Christ, il l’appela «la Terre verte» à cause de son paysage fait de fjords majestueux. Une autre théorie veut que le pays ait été nommé ainsi pour attirer les colons potentiels, malgré le fait que la majorité du territoire est recouvert de glace.
Analyse: Quelle indépendance pour le Groenland?
Par Dr Damien Degeorges
Fondateur du Forum économique et politique sur l’Arctique
L’attention que le monde porte au Grœnland est nouvelle pour la population, et le résultat des élections fait craindre à plusieurs une plus grande mondialisation du pays. Étant donné les changements climatiques, le défi des Groenlandais sera de s’adapter à une société où l’énergie sera au cœur de l’économie. Mais le débat sur les matières premières au Groenland est trop local. On doit le regarder dans une perspective globale et à long terme si on veut assurer une économie forte qui pourra soutenir un État fort.
Le Groenland a des capacités limitées. Il a une petite élite de 43 politiciens qui se répartit en 8 ministres, 31 députés et 4 maires. C’est facile pour une compagnie étrangère ou un autre pays de faire pression sur une vingtaine d’élus pour avoir accès au Grœnland. Les habitants du pays devront être vigilants lorsqu’ils auront à gérer les investissements étrangers.
L’immigration peut avoir un impact socio-culturel sur le Grœnland, mais le pays aura besoin d’une main-d’œuvre étrangère s’il veut développer des projets d’envergure. L’immigration peut représenter un défi si le Grœnland ne se prépare pas à prendre le contrôle de son propre développement. Si le Groenland n’est pas apte à établir ses propres règles maintenant, ce sera plus ardu de le faire dans l’avenir.