Parfois, c’est dans une image toute simple qu’on peut trouver beaucoup de sens.
L’image de cette nouvelle tour à l’adresse du 1 World Trade Center, à New York, ne peut qu’inspirer l’émerveillement et l’admiration. Quatorze ans après les attaques du 11 septembre, cette tour se dresse à la fois comme l’expression du génie humain, de la résilience et du goût des Américains pour le grandiose. Sur internet, on peut voir une vidéo de la construction de la tour, 11 années de construction qui défilent sous nos yeux en moins de deux minutes. Ça donne des frissons.
La petite histoire de la reconstruction du secteur où se dressaient les tours jumelles est captivante. Les promoteurs avaient déposé six scénarios possibles, qu’ils ont soumis à l’examen public dans le cadre d’un processus baptisé Listening to the City, une conversation publique à grande échelle qui a convié les citoyens intéressés à délibérer au sujet de la reconstruction de ce bout de ville écorché. Pas moins de 5 000 personnes ont participé à cet exercice participatif au terme duquel elles ont renvoyé les promoteurs à leur table à dessin en rejetant les scénarios présentés et en formulant des critères pour l’élaboration de nouveaux plans. L’intelligence collective en action. Un contraste brutal avec les souvenirs que tout cela évoque.
L’image de cette tour enfin complétée éveille aussi une grande tristesse. La tristesse du souvenir des milliers de morts causées par les attaques, surtout la tristesse des conséquences globales de ces événements. Animés par un désir légitime de vengeance, c’est par la peur et la violence que les Américains ont réagi, en s’embourbant dans des guerres infâmes, en maintenant une colonie pénitentiaire, en pratiquant et justifiant la torture, et en surveillant en masse leurs propres concitoyens. Une réaction qui aurait pourtant pu être tout autre. Une réaction dont les élites américaines ont fabriqué la justification de toutes pièces afin de la faire accepter par une nation en état de choc. Une réaction déshumanisante autant pour eux que pour les populations qui ont été occupées, massacrées, déplacées au nom de la justice.
Du poste d’observation au sommet de la tour, on peut voir à des kilomètres à la ronde.
«See forever» est l’expression (marque déposée…) employée par les promoteurs pour décrire la sensation que provoque la vue d’un horizon infini, du haut des 541 mètres de la tour.
«One world» est un autre slogan qu’on peut lire sur le site OneWorldObservatory.com. Un slogan qui réfère à un idéal auquel aspirent les Américains, à une représentation du monde et de la place qu’ils y occupent. Un idéal qui tient aujourd’hui plus de l’illusion que de la réalité.
L’inauguration de la tour permettra aux Américains de finir de panser leurs plaies, de guérir un peu plus de leur traumatisme collectif. Juchés dans leur observatoire, ils verront bien loin, mais leur myopie les empêchera peut-être de voir pour vrai.