La Catalogne tient des élections à fort parfum référendaire ce dimanche. Le camp indépendantiste l’a promis: s’il obtient la majorité à la Generalitat – le Parlement catalan –, la région rebelle sera souveraine dans les 18 prochains mois. Métro a analysé la situation avec trois observateurs.
Il faut sauver le soldat Espagne
Madrid le claironne haut et fort: toute velléité d’indépendance de la Catalogne se heurtera à la Constitution espagnole, qui «a pour fondement l’unicité de la nation» et qui doit préserver le pays contre toute atteinte à sa «souveraineté».
Mais un récent sondage publié par El País indique qu’une majorité de Catalans sont favorables à l’indépendance de leur région, qui possède une histoire, une culture et une langue qui lui est propre. Que se passera-t-il au lendemain d’une éventuelle victoire du «oui» dimanche?
Agustí Nicolau-Coll, vice-président du Cercle culturel catalan de Montréal, envisage divers scénarios.
«L’Espagne aimerait déployer l’armée en Catalogne: c’est même une envie viscérale chez elle. Mais elle est liée par ses obligations européennes, donc elle ne peut pas le faire. Madrid pourrait cependant suspendre l’autonomie de la Catalogne en dissolvant son Parlement.»
«La séparation des pouvoirs est une fiction en Espagne: le Conseil constitutionnel – qui est l’équivalent de la Cour suprême du Canada – et le pouvoir entretiennent une relation incestueuse.» –Agusti Nicolau-Coll, vice-président du Cercle culturel de la Catalogne du Québec, qui rappelle qu’en 2010 le Conseil constitutionnel a invalidé plusieurs décrets majeurs contenus dans la réforme du statut d’autonomie de la Catalogne, notamment ceux concernant la préséance du catalan en Catalogne, qui avait été adoptée par le Parlement et par le peuple quatre années auparavant.
Un «oui» pour avoir plus de poids
Les plus récents sondages donnent une mince majorité au camp indépendantiste. Mais tous les Catalans ne votent pas nécessairement pour faire l’indépendance, croit Marc Sanjaume, postdoctorant à la Chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes, et spécialiste du sécessionnisme catalan.
«Il y a des souverainistes stratégiques qui voteront “oui” afin d’obliger l’Espagne à se réformer ou pour donner un meilleur rapport de force à la Catalogne dans ses négociations avec Madrid en vue d’obtenir une plus grande autonomie. Il faut se rappeler que des élections générales auront lieu en Espagne le 20 décembre prochain.
«Il y a un consensus en Catalogne à propos d’une chose, c’est que l’Espagne a besoin de changer. Les partisans du “oui” comme du “non” estiment que la région, qui représente 20% du PIB espagnol, donne trop d’argent à Madrid. Même le parti catalan qui défend avec le plus d’acharnement l’unité espagnole croit que Barcelone ne reçoit pas sa juste part dans ce système de péréquation.»
«Même si tous les Catalans s’entendent sur la nécessité de réformer l’Espagne, peu de gens ont espoir de voir le gouvernement espagnol renégocier l’autonomie de la Catalogne avec le gouvernement de la Generalitat.» –Marc Sanjaume, postdoctorant associé au Centre de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes, rappelant que Madrid a toujours opposé une fin de non-recevoir à tout projet indépendantiste porté par le gouvernement catalan
Inclusif et non partisan
Le nationalisme catalan se distingue par son caractère très inclusif, selon Alexandre Leduc, candidat de Québec solidaire qui s’est rendu en Catalogne pour observer le déroulement des élections.
«Il y a moins de tensions que ce qu’on a déjà connu au Québec. Les gens issus de la nation catalane et la portion hispanique de la population se côtoient facilement, explique M. Leduc. On trouve même ici une grande association d’hispanophones en faveur de l’indépendance (Súmate, littéralement «joins-toi»). Comme si un groupe d’anglophones avait fait campagne pour le Oui en 1995.»
«C’est du nationalisme civique», précise-t-il, rappelant que la Catalogne est une terre d’immigration où les différentes communautés s’intègrent rapidement grâce entre autres à l’éducation catalane obligatoire pour tous.
D’ailleurs, la démarche non partisane des Catalans devrait inspirer les indépendantistes québécois, croit M. Leduc. «En plus d’avoir formé une coalition de partis souverainistes, les Catalans ont mobilisé autour du projet une quantité impressionnante de groupes de la société civile, de personnalités, etc. Ce n’est pas la campagne d’un seul parti. On fait beaucoup plus avancer la question nationale de cette manière.»