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Alaa Murabit: «Les femmes méritent mieux que les miettes de liberté qu’on leur accorde»

En dépit de la guerre civile qui déchire sa Libye, la Canado-Libyenne Alaa Murabit milite pour que la voix de ses concitoyennes porte plus haut et plus fort que le bruit des bombes. La sienne, elle, défend déjà les droits des femmes aux quatre coins du monde. Métro l’a rencontrée.

Portrait
Alaa Murabit a grandi au Canada, en Saskatchewan.

La déconsidération dont faisaient l’objet les femmes à l’université que vous avez fréquentée en Libye vous a surprise, vous poussant à vous demander pourquoi, si les femmes étaient égales aux yeux de Dieu, elles ne l’étaient pas aux yeux des hommes. Avez-vous, depuis, trouvé réponse à cette question?
L’interprétation des textes religieux a toujours été la chasse gardée des hommes. Ils ont lu le Coran, la Bible ou la Torah en les dénuant de toutes les références aux femmes, sinon pour en instrumentaliser des passages afin de diminuer et de dénigrer leurs sœurs. Pourtant, des chapitres entiers chantent la femme dans ces livres.

Parmi les 1,6 milliard de musulmans dans le monde, seulement 10% parlent arabe; de ces 10%, seulement 2% parlent l’arabe coranique; et moins de 0,1% d’entre eux sont considérés comme «qualifiés» pour interpréter les écritures sacrées. Ce qui veut donc dire que 1,6 milliard de personnes reçoivent la grande partie de leurs informations religieuses de seulement 0,1% d’entre elles, des hommes souvent vieux qui sont avant tout motivés par des raisons politiques.

Quel genre de motivations politiques, selon vous?
Les leaders religieux qui manipulent la religion à leur propre avantage savent très bien qu’en opposant les femmes et les hommes, ils ouvrent une brèche qui autorise l’oppression des premières, tout en permettant aux seconds d’affirmer leur domination et leur masculinité. Ça devient beaucoup plus facile de contrôler votre communauté quand vous instrumentalisez une de ses moitiés pour qu’elle réprime l’autre!

Vous militez pour que les femmes soient toujours au centre des négociations de paix dans le monde. Pourquoi?
Parce que présentement, on ne négocie la paix qu’avec les va-t-en-guerre qui possèdent les armes! Or, ce sont eux qui ont le plus grand intérêt à perpétuer des conflits qui leur permettent presque toujours de s’enrichir. Si une guerre vous permet d’engranger des millions chaque semaine, vous seriez un homme d’affaires bien mal avisé de vouloir la paix.

Les femmes, elles, ne profitent pas de la guerre: elles la subissent. Ce sont elles qui doivent vivre avec quatre heures d’électricité par jour; elles qui doivent lutter pour nourrir leurs enfants; elles qui doivent protéger leurs élèves quand leur salle de classe est bombardée. Pour elles, la paix est souvent une question de vie ou de mort.

«L’émancipation des femmes est un combat qui concerne toutes les régions du monde. Ici, des femmes autochtones sont assassinées dans l’indifférence la plus complète. Le Canada aussi doit faire face à ces problèmes!» – Dre Alaa Murabit, fondatrice et présidente de l’organisation Voice of Libyan Women

Les femmes musulmanes sont souvent présentées comme soumises dans les médias occidentaux. Jusqu’à quel point cette image fausse-t-elle la réalité?
Il y a une croyance persistante qui veut que les femmes du monde arabe soient faibles, soumises et insignifiantes. Rien n’est plus faux. Elles vivent dans une région qui a connu plus de guerres qu’aucune autre sur le globe. Je pense qu’au contraire, les souffrances qu’elles ont dû endurer leur ont donné une force dont peu de Canadiens peuvent se vanter.

Vous n’êtes pas seule dans votre combat pour l’émancipation des femmes dans le monde; plusieurs Libyens vous épaulent dans votre lutte.
Oui, et ce sont les plus courageux d’entre nous, selon moi. Dans des sociétés où ils sont étiquetés comme homosexuels parce qu’ils militent pour les droits de leur mère, de leurs sœurs et de leurs filles – et où il est dangereux d’être étiqueté comme tel –, leur implication est admirable.

Les femmes ont-elles une place dans la société libyenne?
Il y a toujours une place pour les femmes. Toujours. Mais nous devons parfois apprendre aux sociétés à leur faire cette place. C’est pourquoi l’éducation est si importante. Chaque fois qu’on me dit que les Libyennes devaient être plus heureuses sous le régime de Kadhafi, j’enrage. C’est une affirmation qui reflète la croyance selon laquelle les femmes méritent seulement la minuscule place que leur accorde leur société. Personne n’a jamais dit: “Les hommes devaient être plus heureux sous la dictature”! Mais les femmes, elles, devraient être pleines de gratitude pour chaque miette de liberté qu’on leur accorde. Comme si, même si elles n’ont pas les mêmes droits que leur mari ou que leurs fils, elles devraient être béates de reconnaissance. Je pense qu’au contraire, les femmes doivent se battre pour des droits égaux.

«Il faut offrir un avenir à ces gens»

Le double standard qui amène à déconsidérer une partie du monde alimente l’extrémisme et la radicalisation, croit Alaa Murabit, présidente et fondatrice de l’organisation Voice of Libyan Women.

«On dit parfois que le président syrien Bachar el-Assad est le moins pire de deux cancers, l’autre étant le groupe État islamique (EI). J’ai de la difficulté avec cette assertion, insiste Mme Murabit, car elle implique que son régime est moins pire qu’EI uniquement parce qu’il se contente de massacrer son propre peuple. Pourtant, le régime d’El-Assad est aussi infréquentable qu’EI. Ça en dit long sur la manière dont on déconsidère la vie des Syriens…

Toutes les interventions occidentales qui ont été entreprises contre EI a été menées après qu’un ressortissant étranger eut été tué. Vous savez, 98% des victimes de groupes comme EI ou Boko Haram sont des gens de l’endroit. Et nous ne nous donnons même pas la peine d’en parler…»

«L’Arabie saoudite a décapité beaucoup plus de personnes qu’EI. Et pourtant, pour l’Occident, c’est une alliée. Beaucoup de gens, au Moyen-Orient, dénoncent cette hypocrisie de la communauté internationale.» – Alaa Murabit, qui souligne que l’Arabie saoudite propage une version de l’islam, le wahhabisme, qui fait le lit des organisations extrémistes

Selon Mme Murabit, les groupes extrémistes font vibrer cette corde pour recruter leurs combattants. Elle ajoute que pour contrer la radicalisation, il faut offrir aux laissés-pour-compte un avenir qui soit meilleur que ce que leur offre l’intégrisme.

«Ce serait une insulte à l’intelligence de prétendre qu’EI est sorti de nulle part. EI est le résultat d’un échec collectif et international, l’échec qui consiste à avoir été incapables d’offrir à ces gens un avenir économique et social.»

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