Montréal

«Le sport peut faire gagner ou perdre une élection»

Âgé de 70 ans, Francis Millien est un vieux routier du sport montréalais. Ancien agent de développement au sport au sein de la Ville de Montréal durant 30 ans, avant de diriger l’organisation locale de quatre Coupes du monde de soccer (1987, 2007, 2014, 2015) avec les jeunes et les femmes, l’intéressé juge que le sport doit trouver sa place dans la campagne électorale. Après avoir été en charge d’évaluer les chances de la métropole pour accueillir une partie du Mondial 2026, Francis Millien souhaite notamment que la future administration améliore ses infrastructures.

Trouvez-vous quon parle suffisamment de sport dans cette campagne électorale
On n’en parle jamais assez. [Rires] Le sport a beaucoup d’importance et d’incidence dans la vie des Montréalais, et je trouve qu’on pourrait lui accorder une place plus large. Je regrette pour l’instant que les candidats négligent un peu ce domaine, alors que les enjeux sont importants. J’espère entendre prochainement leurs opinions.

Au cours de son dernier mandat, le maire Coderre, qu’on sait passionné de hockey et de baseball, a-t-il accordé une place suffisamment importante à tous les sports?
Avec ses antécédents [il a été secrétaire d’État au Sport amateur de 1999 à 2002], il connaît le sport. Il a des préférences, mais je dois avouer qu’il a toujours été à l’écoute du milieu sportif. Il est plus dynamique que d’anciens maires. Chaque maire a son caractère et sa façon de faire, il faut s’adapter, mais j’avoue qu’on n’a pas à se plaindre. Avec lui, on sait beaucoup plus vite ce qui va ou non. Avec son expérience et son passé, il connaît tout le pouvoir du milieu sportif. Ce n’est pas un milieu qu’on doit laisser pour compte, bien au contraire.

Quel est le pouvoir réel du milieu sportif?
La masse. C’est important pour des gens qui veulent se faire élire ou réélire. Le politique doit être à l’écoute de sa population, même s’il ne peut, bien sûr, aider tout le monde, tous les sports. Il y aura toujours des gens qui seront vexés ou blessés. Mais le sport peut faire gagner ou perdre une élection à tout moment. Un grand mouvement de masse qui irait à l’encontre d’un parti ou d’une personne pourrait faire beaucoup de mal, même si, contrairement au milieu culturel, les sportifs s’engagent parfois moins.

Le retour des Expos, prôné par Denis Coderre, peut-il être un argument électoral?
Ça ne peut pas lui être négatif, mais le maire doit faire attention à ses mots. Il ne peut pas promettre de ramener une équipe, ce n’est pas lui qui décide. Mais il semble faire tout ce qu’il peut pour que les gens qui travaillent sur ce dossier se sentent appuyés par la Ville. C’est ce qu’il a fait aussi pour la candidature de Montréal pour la Coupe du monde de soccer 2026.

Organiser ce Mondial obligerait d’ailleurs à rénover le Stade olympique, pour, notamment, permettre une ouverture du toit
Des rénovations sont déjà prévues, car on ne peut le garder ainsi, mais cette Coupe du monde pourrait les accélérer. Est-ce qu’il va y avoir un toit rétractable? Des gens travaillent là-dessus, des projets ont été réalisés. Mais surtout, il ne faut pas considérer ces rénovations pour un seul événement. La Coupe du monde pourrait être une façon d’ouvrir la porte à de multiples possibilités.

À quoi pensez-vous?
L’organisation de matchs internationaux de cricket ou de rugby, par exemple, ou encore un match en plein hiver du Canadien. Avec un terrain naturel et un stade ouvert, on pourrait voir des grands matchs de foot, inviter le FC Barcelone, le Real Madrid ou le Bayern Munich, qui ne se déplaceront pas dans le stade actuel. On pourrait aussi monter un vélodrome pour un événement. Aujourd’hui, tout est possible et il faut penser comme Léonard de Vinci. C’était un génie qui a répondu aux besoins de son époque et qui a pensé au futur.

Mais ne craignez-vous pas que de telles rénovations, avec des coûts importants, entraînent une grogne populaire en raison dune potentielle hausse de taxes?
Je ne pense pas. Les gens, les fumeurs notamment, ont déjà payé la construction du stade et savent qu’ils paieront encore. Personne n’a bougé lorsque l’essence est monté de 20 cents. Qui peut vraiment se plaindre d’avoir eu le Stade olympique? Il y aura toujours des opposants, même Jésus n’a pas fait l’unanimité. Mais c’est un symbole à travers le monde. Ce qui coûte cher au stade, c’est de l’entretenir et de ne rien avoir dedans. 

Comment jugez-vous la proposition de Valérie Plante, candidate de Projet Montréal, de consulter les Montréalais dans un référendum, avant dinjecter des fonds publics pour la construction dun stade de baseball?
Une consultation ne peut pas faire de mal, mais il ne faut pas que ça ralentisse les actions. On se cache parfois beaucoup trop derrière des consultations pour gagner du temps. On pourrait aussi faire confiance aux personnes payées pour réaliser des études. Prenons l’exemple du Parc olympique et du toit du stade. Il y a des pleins de consultations, mais rien n’a bougé pendant longtemps. C’est sûr qu’il y aura toujours des gens pour ou contre l’utilisation d’argent public dans le sport, mais ne rien faire, ce n’est pas mieux.

«Le candidat qui innovera, qui comprendra ce qu’implique réellement la pratique du sport urbain, gagnera des points auprès des électeurs, des familles et des sportifs»

Quels sont les besoins du sport montréalais pour les prochaines années?
Il faut plus d’accessibilité et de périodes d’utilisation des installations sportives. Il faudrait pouvoir se faire ouvrir davantage les terrains les jours fériés, puisque les gens jouent lorsqu’ils sont en vacances. Selon les arrondissements, c’est parfois difficile à faire accepter. Il faut aussi adapter les installations actuelles.

Comment?
On a des terrains, pour beaucoup de sports, mais pas nécessairement des vestiaires, des toilettes ou un local pour les arbitres. Il faut aller au-delà du terrain, créer des structures d’accueil et de vrais pôles sportifs. Il faudrait aussi construire davantage de parcs à chien car trop souvent, les chiens font leurs besoins sur les terrains extérieurs. On considère trop souvent les parcs comme des parcs-nature, alors qu’il faudrait aussi les voir comme des endroits pour le sport. Pourquoi, par exemple, dès le début de l’automne, les abreuvoirs sont fermés alors qu’il y a encore des matchs tous les soirs?

Le maire Coderre a beaucoup mis laccent ces dernières années sur la rénovation des terrains de baseball. Comment jugez-vous cette décision ?
Je ne vais pas reprocher d’améliorer les installations d’un autre sport sous prétexte qu’on ne l’a pas fait pour le foot. Ces améliorations répondaient à un besoin, notamment en termes de sécurité, mais je regrette qu’on ne le fasse pas pour le soccer. J’ai été l’artisan, début 2000, de la transformation d’une trentaine de terrains de baseball en petit terrain de soccer car ces terrains étaient sous-utilisés. Le monde du baseball, choqué au début, a fini par comprendre. L’argent que le maire a mis dans les terrains de baseball, est-ce trop? Je vais laisser le service des sports se justifier.

Votre sport a eu cependant le Stade de soccer de Montréal en 2015
Il est magnifique, on ne va pas se plaindre. Mais avec ce prix [52,6M$], on aurait pu faire quatre autres terrains, peut-être moins beaux et moins grands. On peut avoir quelques regrets.

Accorde-t-on assez de place au soccer à Montréal, alors que ce sport est en pleine expansion?
Personnellement, je ne le pense pas. On a des besoins plus marquants que d’autres sports, mais les budgets ne grossissent pas. On a des terrains à Montréal [plus de 300 selon la Ville], mais ils ne sont pas tous en bon état et utilisables. Dans le Sud-Ouest, on nous refuse même l’installation de terrain synthétique sous prétexte que ce ne serait pas assez écolo. Mais lorsqu’il pleut, le gazon prend du temps à sécher et le terrain devient dangereux. Pendant ce temps, que font les petits jeunes qui ne peuvent jouer? Avec le synthétique, on peut y jouer toute la journée, toute la semaine, sans prendre le risque de l’abimer.

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