Malgré les appels de plus en plus nombreux à reporter l’événement en pleine pandémie de coronavirus, le Comité international olympique tient à maintenir les JO de Tokyo, à quatre mois de la cérémonie d’ouverture.
Pourquoi une telle attitude alors que la plupart des autres grands événements sportifs ont été reportés, dont l’Euro de foot ? Prestige, enjeux politiques et économiques, lourdeur de l’organisation… Eléments de réponses.
Le temps qui reste
«Nous ne savons pas ce que sera la situation» dans 4 mois, a rappelé vendredi le patron du CIO, Thomas Bach, laissant percevoir l’espoir que la situation sanitaire mondiale permettra la tenue de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Tokyo, le 24 juillet. Il ne serait donc «pas responsable aujourd’hui» de «prendre une décision» qui serait «prématurée».
Jean-Christophe Rolland, président français de la Fédération internationale d’aviron (Fisa), interrogé par l’AFP, dit «comprendre» et soutenir cette position: «On est encore loin du 24 juillet. Face à cette crise totalement inédite, nul ne peut prédire avec certitude son évolution et de nombreux scénarios sont possibles».
Le poids des Jeux olympiques
Pour Patrick Clastres, directeur du Centre d’études olympiques et de la globalisation du sport à l’Université de Lausanne, le principe de la quadriennalité est «aussi important que celui de l’attribution des Jeux à une ville différente, et qu’autrefois celui de l’amateurisme : une marque de fabrique qui distingue les JO de toutes les autres compétitions mondiales».
«Il y a une portée symbolique immense si les JO sont reportés ou annulés», renchérit Nathalie Nenon-Zimmermann, directrice générale à Paris de l’agence de marketing sportif Only sports & passion, spécialiste du sport olympique.
De fait, même après la crise financière de 1987 ou la guerre du Golfe en 1991 qui ont fait trembler le monde, les JO de 1988 et 1992 ont bien eu lieu. Seules les deux guerres mondiales ont eu raison des JO de 1916, 1940 et 1944.
En cas de report, «on brise une limite aujourd’hui jamais franchie : les JO ne sont plus immuables sauf guerre mondiale», poursuit-elle.
Un processus de décision dilué
Si la décision formelle reviendra au CIO, le gouvernement japonais aura le dernier mot, en lien avec le Comité d’organisation local et sur les conseils de l’Organisation mondiale de la Santé. «Les tractations sont à mener avec une gamme complexe de partenaires, confirme M. Clastres: le comité d’organisation de Tokyo, le gouvernement japonais, les fédérations internationales, les annonceurs et les médias».
Les conséquences financières
Le CIO redistribue vers les organisations sportives et les sportifs 90% de ses revenus qui, pour les derniers JO de Rio-2016 ont atteint 5,7 milliards de dollars.
L’écosystème des JO, ce sont aussi des diffuseurs TV et des sponsors qui ont investi beaucoup d’argent auprès du CIO et du comité d’organisation. «Le risque d’indemnisation est à considérer en cas de report ou pire d’annulation. Et les conséquences financières vont ruisseler sur le sport en général», explique Mme Nenon-Zimmermann.
De plus, ajoute-t-elle, derrière les droits TV et sponsoring, «il y a aussi toute une économie liée à l’activation des droits», qui emploie plusieurs centaines de milliers de personnes dans le monde.
La question des sportifs
Certains athlètes comme la perchiste grecque Katerina Stefanidi ou encore la Fédération américaine de natation appellent à un report des JO. Car le CIO et les fédérations internationales font aussi face à un problème épineux: 43% des sportifs ne sont toujours pas qualifiés. De plus, les contrôles antidopage sont eux aussi à l’arrêt ce qui pose le problème d’équité entre sportifs.
Le Français Jean-Christophe Rolland, champion olympique en aviron en 2000 à Sydney, l’assure: les athlètes «sont au cœur des considérations. En tant qu’olympien, j’apprécierais grandement que tous les efforts, raisonnables, soient faits pour que les Jeux aient lieu. Il ne faut pas oublier que pour un athlète, les JO c’est l’épreuve d’une vie».
La lourdeur de l’organisation
Recevoir les JO impose beaucoup de contraintes organisationnelles pour le pays hôte (transport, hébergement…). Or de nombreuses installations construites pour les JO doivent être mises à disposition dès la fin des épreuves. Ainsi les logements du village olympique prévus pour accueillir plus de 11 000 sportifs doivent être aussitôt cédés à leurs propriétaires. «Le village olympique est un problème parmi des milliers d’autres, souligne Jean-Loup Chappelet, professeur à l’Institut de Hautes Etudes en Administration Publique (IDHEAP) de Lausanne et spécialiste du CIO. Mais c’est le Premier ministre Shinzo Abe qui débloquera les budgets nécessaires quitte à prendre des mesures législatives».