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Un Québécois au cœur de la campagne présidentielle française

Photo: Chantal Levesque

Premier vice-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) depuis 2009, Roland Lescure a pris la décision au début du mois d’avril de démissionner pour se lancer dans la vie politique française. Membre du comité de soutien d’Emmanuel Macron à Montréal, le résidant d’Outremont et spécialiste en économie, qui détient la nationalité canadienne, a été conquis par le candidat centriste. Pourrait-il intégrer, en cas de victoire de l’ancien ministre, un nouveau gouvernement hexagonal? Rien ne semble exclu.

Pourquoi avoir pris la décision de quitter la CDPQ pour vous lancer en politique?
Je cogitais depuis mes 50 ans, il y a quelques mois. Je m’intéresse depuis toujours à la politique française, mais le Brexit, puis l’élection de Trump, ont été des coups de tonnerre, des «wake up call» pour moi. Je me suis interrogé sur ce que j’avais envie de faire sur les dix ans à venir et j’ai décidé de m’impliquer. La campagne prenait à mon goût un tour pas très positif. C’était une campagne très dure qui tournait beaucoup autour des gens et non des programmes.

Vous n’avez pas hésité? 
Je devais faire un choix, car la Caisse est une institution apolitique. Dans la vie, il faut faire des choix. C’était un choix profond, un choix du cœur. J’ai quitté un très beau job, mais c’est un beau risque. À 50 ans, si l’on ne prend pas un peu de risque, on finit par s’ennuyer (rires).

Pourquoi le choix d’Emmanuel Macron?
Je l’ai rencontré en 2012, lorsqu’il était secrétaire général adjoint de l’Élysée, et je ne l’ai plus vu depuis. J’ai adhéré à son parti au printemps dernier, car j’ai vraiment été séduit par sa manière nouvelle de faire de la politique et sa volonté de renouveler les hommes et les femmes politiques. En France, contrairement à d’autres pays, on a presque exclusivement des politiciens de carrière. En avoir n’est pas une mauvaise chose, mais lorsque toute la classe politique ne fait que ça, la prise avec le monde réel est beaucoup moins importante. Et pour moi, depuis une dizaine d’années, le clivage gauche-droite est dépassé.

Vous ne vous considérez donc ni à gauche, ni à droite?
J’ai grandi dans un environnement très à gauche. Mes parents militaient pour le parti communiste. Très vite, je me suis retrouvé dans une approche assez centrale et pragmatique, en cherchant des solutions parfois à gauche, parfois à droite. Je crois beaucoup dans l’équilibre. Je suis aussi un Européen convaincu. J’ai rencontré ma femme, qui est Irlandaise, à Bruxelles. Pour moi, il n’y a pas d’avenir pour la France en-dehors de l’Europe.

«Emmanuel Macron est peut-être le Trudeau français, mais la France n’est pas le Canada. Il y a des parallèles comme la jeunesse, l’ouverture et la communication facile, mais les fondamentaux entre les deux pays sont très différents. Le multiculturalisme à la canadienne ne fonctionnerait pas en France, qui a une histoire, une géographie et des influences politiques, sociales et culturelles différentes.»

Quel rôle doit jouer l’Europe?
C’est un vecteur de paix. L’Europe a été en guerre pendant des siècles et elle ne l’est plus en grande partie grâce à l’Union européenne. Il y a également un facteur économique. Dans un monde globalisé, la France ne peut pas être un village gaulois seul contre tous. Mais dans une Europe renforcée, on peut compétitionner avec les États-Unis et la Chine, mais aussi organiser la régulation et la règlementation pour protéger les citoyens.

Et vis-à-vis du Canada?
Tous les enjeux de libre-échange aujourd’hui sont questionnés depuis le Brexit et Trump. Il y a des poussées de protectionnisme un peu partout dans le monde. Emmanuel Macron est pour le CETA (un traité de libre-échange entre l’UE et le Canada), mais [s’il est élu] il va entendre les critiques avec la mise en place d’une commission d’experts indépendants. Ensuite, je suis persuadé qu’il va en discuter avec les partenaires européens et le Canada.

Votre expérience avec la CDPQ pourrait-elle être utile?
J’ai beaucoup appris au Québec, qui est, pour moi, le meilleur de l’Amérique et le meilleur de l’Europe, avec un rapport à l’entrepreneuriat qui est positif. Je pense que les Français vivant en Amérique du Nord peuvent apporter une perspective différente pour aider à la transformation de la France.

Etes-vous candidat à un poste gouvernemental en cas de victoire d’Emmanuel Macron?
Je ne suis pas à la recherche d’un nouveau job. J’ai pris cette campagne comme une course d’obstacles. Il y a encore le deuxième tour, puis les législatives. Ensuite, on verra. J’espère pouvoir continuer à contribuer. Je n’ai pas fait ce saut pour trois semaines ou trois mois. Mais je ne sais absolument pas quelle forme ça prendra.

«Je n’ai postulé à rien et on ne m’a rien offert.»

Allez-vous quitter le Québec après la campagne?
Franchement je n’en sais rien, ça va dépendre de plein de choses. J’aime beaucoup ma vie ici. Montréal est une ville fantastique, à la fois d’un point de vue personnel, professionnel, social et culturel. Si je devais quitter Montréal, ça me manquerait beaucoup. Ça fera partie des paramètres de ma décision.

Avez-vous eu par le passé des propositions politiques de la part des gouvernements provinciaux et fédéraux?
Aucune. J’étais sans doute dans le meilleur job au monde pour ma carrière et je n’étais absolument pas à la recherche d’opportunités. Avant de commencer cette campagne, je ne me posais aucune question sur mon avenir et j’étais très heureux dans mon travail. C’est vraiment ce qu’il se passait en France qui m’a poussé à prendre cette décision.

Une victoire de Marine Le Pen, malgré les sondages favorables à Emmanuel Macron, reste-elle possible?
Il n’y a pas de risque zéro, notamment si l’abstention est forte. Personne n’avait prédit le Brexit ou encore l’élection de Trump, même si le système américain est différent. Tout peut vraiment arriver dans les derniers instants. C’est pour ça qu’on tente de mobiliser tout le monde, même à Montréal.

***

Prochain député ou ministre?

Roland Lescure a-t-il quitté son poste et un salaire global appréciable (2,62M$ en 2016) sans aucune garantie? L’intéressé affirme n’avoir aucun poste en vue, ni aucune promesse en poche de la part d’Emmanuel Macron. Ce dernier a cependant indiqué vouloir s’entourer de personnalités issues de la société civile, une exigence qui correspond au profil de Roland Lescure. Le natif de Paris, qui a déjà travaillé entre 1992 et 1999 au ministère des Finances en France, pourrait également être le candidat d’En Marche aux élections législatives (3 et 17 juin) pour tenter d’obtenir le poste de député des Français d’Amérique du Nord. L’intéressé ne confirme ni infirme son intérêt. Une décision du parti devrait être annoncée la semaine prochaine.

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