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L’héritage caché des anciennes carrières de Montréal

Photo: Archives de Montréal

Comme l’ont constaté avec désarroi plusieurs propriétaires, certains secteurs de Montréal ont été meurtris par d’anciennes carrières de pierre grise, remblayées de déchets puis reléguées à l’oubli. Pourtant, les Montréalais doivent à ces carrières certains de leurs plus beaux parcs et bâtiments. Métro dresse un portrait de l’héritage de ces lieux.

 

Mis à part la rue qui porte leur nom et qui sillonne leur empreinte disparue, l’histoire des anciennes carrières de pierre grise de Montréal a presque disparu du paysage. Elles ont toutes été remblayées et converties en parcs ou en secteurs résidentiels et commerciaux au début du XXe siècle, et on a vite fait d’oublier qu’elles existaient.

Au parc Sir Wilfrid-Laurier, dans le Plateau-Mont-Royal, par exemple, rien n’indique au visiteur que le lieu était jadis au cœur d’un important réseau de carrières qui s’étendait vers le nord-est jusqu’au parc Père-Marquette, dans l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie.

Gravure tirée du Canadian Illustrated News en 1869, montrant le pont qui enjambait les carrières du Mile-End.
Gravure tirée du Canadian Illustrated News en 1869, montrant le pont qui enjambait les carrières du Mile-End.

Les carrières étaient si vastes qu’on a dû à l’époque construire un pont pour permettre aux trains qui empruntaient la ligne de chemin de fer Occidental Railway de les enjamber (voir photo ci-contre).

Pour le directeur des politiques d’Héritage Montréal, Dinu Bumbaru, Montréal aurait pu en faire plus pour préserver leur histoire. «Il y a la rue des Carrières, mais quand on va se promener là, est-ce qu’on a la moindre conscience de ce à quoi fait référence ce nom-là? On n’a pas d’idée de l’ancien système des carrières montréalaises», juge-t-il.

Selon lui, le 375e anniversaire de Montréal, l’année prochaine, serait une bonne occasion pour raviver la mémoire des carrières. La Ville pourrait aisément installer des bornes pour informer les passants, suggère-t-il

Des bâtiments emblématiques

Plusieurs des bâtiments que viennent admirer les touristes ont été construits avec de la pierre grise provenant des carrières du Mile-End et de Rosemont–La Petite-Patrie. L’hôtel de ville, la basilique Notre-Dame et le Marché Bonsecours ont tous été construits avec des pierres provenant de la carrière Martineau, sur l’actuel site du parc Père-Marquette, selon le géologue Robert Ledoux.

Presque tous les bâtiments de pierre construits avant le XXe siècle à Montréal ont été érigés avec de la pierre mont­réalaise, ajoute-t-il.

Même la Citadelle de Québec a été construite avec de la pierre provenant de cette carrière. M. Ledoux estime qu’un tiers des pierres qui la composent ont été arrachées au sol de ce parc.

 

La basilique Notre-Dame, dans le Vieux-Montréal, a été bâti avec de la pierre grise de la carrière Martineau, dans le Mile-End. La basilique Notre-Dame, dans le Vieux-Montréal, a été bâti avec de la pierre grise de la carrière Martineau, dans le Mile-End. / Crédit: Josie Desmarais

M. Ledoux explique que le calcaire (nom plus officiel de la pierre grise) montréalais était un matériel de construction de choix dans la métropole avant le XXe siècle. «Le calcaire est facile à tailler. Le granit, il faut souvent dynamiter les bancs pour en extraire des blocs, puis il faut les scier. Tandis que le calcaire, vous avez des lits naturels qui font de 30 cm à 60 cm d’épaisseur et qui se détachent facilement», avance-t-il.

De plus, on devait à l’époque tailler la pierre à la main avec une gigantesque scie et du sable, ce qui se prêtait bien au calcaire, moins dur que le granit. L’avènement des machines à vapeur et du train ont permis, au début du XXe siècle, d’aller tailler du granit dans des carrières le long de la frontière américaine et de le faire acheminer à Montréal.

«On a une histoire qui est notamment exprimée dans la pierre. Montréal est une ville de pierre, une ville de maçons. Ça couvre quatre siècles, l’histoire du travail de  la pierre ici.» -Dinu Bumbaru, directeur des politiques d’Héritage Montréal

La fin d’une ère

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Vous pouvez faire glisser l’image entre une carte de Montréal datant de 1869 (gauche), et de 2016 (droite). Les anciennes carrières, telles qu’elles étaient en 1869, ont été mises en évidence en rouge.

À la fin des années 1920, la plupart des carrières de pierre grise de Montréal sont fermées. La Ville interdit en 1933 d’en ouvrir de nouvelles et défend l’exploitation de celles qui existent sur son territoire.

Selon une étude publiée en 2002 dans le Journal de la Société pour l’étude de l’architecture au Canada, la Ville se trouve alors devant un problème : plusieurs carrières désaffectées deviennent un danger public. Certaines se remplissent d’eau stagnante, et on rapporte des accidents et des noyades dans ces cratères non clôturés.

De plus, des promoteurs immobiliers mettent de la pression sur la Ville pour faire disparaître ces trous béants, ce qui permettrait le développement du secteur.

Entre les années 1920 et 1940, la Ville acquiert plusieurs carrières dans le but d’y enfouir des déchets, de les remblayer, puis d’en faire des parcs. La presse de l’époque accueille avec enthousiasme ces projets.

En 1939, deux professeurs d’université montréalais, T. H. Clark et Léo G. Morin, proposent de convertir l’ancienne carrière Martineau en gigantesque parc géologique, pour non seulement préserver l’histoire des carrières, mais aussi permettre aux citoyens de venir y approfondir leurs connaissances. C’est que dans cette carrière s’entrecroisent différentes veines typiques du sous-sol montréalais.

Or, en 1946, la Ville a déjà commencé à enfouir des déchets dans la carrière, et le projet est abandonné. «Ce n’est pas mauvais qu’on ait le parc Père-Marquette. Mais ç’aurait été une excellente idée d’avoir un endroit où on pourrait aller comprendre la géologie, se désole M. Bumbaru. Si on avait les vestiges des anciennes carrières, on aurait une conscience de la place de la géologie dans notre environnement quotidien.»

Comment reconnaître la pierre grise de Montréal ?

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Outre bien sûr la couleur, qui est d’un gris presque bleuté, le géologue Robert Ledoux donne quelques astuces :

  • Le calcaire est facile à marquer, alors que le granit est beaucoup plus résistant.
  • En regardant de près, on peut voir de petits fossiles et des coquillages dans la pierre grise.

Quelques carrières converties en parc

Parc Baldwin (Plateau Mont-Royal) Ancienne carrière d’argile

Parc Laurier (Plateau Mont-Royal) Carrière O. Limoges

Parc Père Marquette (Rosemont–La Petite-Patrie) Carrières J. Gravel, Montreal Quarry et O. Martineau

Parc Lalancette (Mercier–Hochelaga-Maisonneuve) Carrière J. Poupore

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