Un récidiviste verra son camion confisqué
OTTAWA – Un récidiviste de la conduite en état d’ébriété devra dire adieu à sa camionnette: la Cour suprême du Canada a ordonné jeudi que le véhicule du Québécois soit confisqué.
Dans un jugement unanime, le plus haut tribunal du pays a jugé que la saisie n’est pas démesurée dans le cas d’Alphide Manning, qui avait plusieurs condamnations à son actif.
Alors que Québec a décidé d’être plus sévère avec ceux qui conduisent avec les facultés affaiblies par l’alcool, le ministre de la Justice, Bertrand St-Arnaud, voit dans cette décision un feu vert de la Cour suprême pour demander sans hésiter de telles confiscations de véhicules automobiles.
Il a dit y voir «une excellente nouvelle pour la population».
Mais cette mesure de confiscation à elle seule n’enlève pas forcément les récidivistes des routes.
Et Alphide Manning conduit toujours.
Son avocat, Me Patrick Jacques, a souligné que son client a purgé sa peine de prison et a retrouvé le droit de conduire un véhicule — après une période d’interdiction — mais uniquement avec un antidémarreur.
Il se demande ainsi ce qui est accompli en lui enlevant sa vieille camionnette, son unique bien.
En juin 2010, M. Manning avait plaidé coupable d’avoir conduit son véhicule alors que ses capacités étaient affaiblies par l’effet de l’alcool.
L’homme d’une soixantaine d’années en était alors à sa cinquième condamnation pour conduite en état d’ébriété.
Malgré la peine de prison imposée par le juge et l’interdiction de conduire, la Couronne avait demandé la confiscation de son véhicule, soutenant qu’il constituait un «bien infractionnel» au sens du Code criminel, bref, un bien qui sert à commettre un crime.
Mais cette demande avait été refusée par les deux instances inférieures, la Cour du Québec et la Cour d’appel.
Il était déjà possible, en vertu du Code criminel, d’ordonner la confiscation d’automobiles.
Mais dans le cas de M. Manning, les deux cours inférieures avaient estimé que la saisie serait démesurée pour cet homme qui vivait très modestement d’aide sociale, dans une chambre de motel à Chute-aux-Outardes, un petit village de la Côte-Nord.
Sans autre moyen de transport, il disait avoir besoin de son véhicule pour ses rendez-vous médicaux et ceux de sa conjointe à Baie-Comeau. Son état de santé avait été pris en considération.
Mais la Cour suprême en a décidé autrement.
«Nous ne sommes pas convaincus que la confiscation sollicitée par le ministère public était ‘démesurée’, au sens où il faut entendre ce mot pour l’application (…) du Code criminel. En tirant une conclusion différente, le juge du procès a erronément mis l’accent sur la situation personnelle de M. Manning et n’a pas accordé (…) le poids voulu au casier judiciaire de ce dernier», peut-on lire dans le jugement rédigé par le juge Morris Fish, de la Cour suprême.
Le juge rappelle ainsi que M. Manning avait à son dossier cinq déclarations de culpabilité à l’égard d’infractions relatives à la conduite sous l’effet de l’alcool, et trois à l’égard de manquements à des ordonnances de probation ou à des engagements.
Le ministre de la Justice du Québec s’est dit très heureux du jugement de la Cour Suprême.
La veille, M. St-Arnaud avait annoncé une série de mesures pour serrer la vis aux récidivistes. Par exemple, il avançait que le véhicule du fautif sera confisqué dans tous les cas et retiré définitivement au contrevenant, s’il s’agit d’une troisième infraction ou davantage. Cette sanction peut déjà être appliquée, avait-il dit, mais elle ne l’est pas assez souvent.
La décision de la Cour suprême rendue jeudi conforte le ministre dans les directions qu’il entend donner à ses procureurs de la Couronne.
«Elle va donner à tous les procureurs un outil supplémentaire dans la mise en application de l’orientation que j’ai donnée hier (mercredi)», a-t-il déclaré d’entrée de jeu.
«Le pouvoir est confirmé, et il est confirmé avec des critères qui font en sorte que dorénavant, les procureurs vont pouvoir requérir cette confiscation de véhicule et que le juge va devoir se centrer davantage sur le dossier judiciaire de l’individu plutôt que sur sa situation personnelle», a-t-il indiqué lors d’un point de presse impromptu, à Québec.
L’objectif de ces mesures est d’assurer la sécurité publique.
Mais pourtant, un récidiviste fortuné peut s’acheter un autre véhicule en y installant un antidémarreur ou encore en emprunter un, explique l’avocat de M. Manning.
«Quand on parle de sécurité publique, qu’est-ce qu’on a atteint? Si vous voulez la sécurité publique en ce qui concerne la sécurité routière, la confiscation (du permis) et l’antidémarreur, ça fonctionne. Confisquer son véhicule, ça va juste le punir une deuxième fois. Et ça, ça va à l’encontre des principes de justice fondamentale», a fait valoir Me Jacques.
Mais pour les multirécidivistes, «le couperet vient de tomber», conclut-il.
Mercredi, le ministre St-Arnaud avait ainsi indiqué qu’il allait accentuer la pression sur les quelque 500 procureurs de la Couronne du Québec, qui auront droit à une directive les exhortant à faire preuve de davantage de sévérité à toutes les étapes des procédures judiciaires impliquant les abonnés de l’alcool ou des drogues au volant. Il disait vouloir mettre fin au «fléau» qu’est la conduite avec facultés affaiblies.