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Je me souviens de 1995: le Oui et le Non partent en guerre

(MTL115)MONTREAL, Oct. 30--A small group of Non supporters carry Quebec and Canadian flags as they parade through the streets of Montreal Monday. (CP PHOTO) 1995 (stf-Tom hanson)ROY Photo: Canadian Press

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Le 1er octobre 1995, le premier ministre du Québec Jacques Parizeau lançait officiellement la deuxième campagne référendaire sur la souveraineté de la province. La lutte qui a opposé les camps du Oui et du Non laisse encore aujourd’hui une trace indélébile dans la mémoire collective des Québécois. Vingt ans plus tard, Métro a parlé à des témoins importants de la campagne afin de revivre la fièvre référendaire dans une série d’articles qui seront publiés tout au long du mois d’octobre. Retour en arrière.

Dans le camp du Oui
Au moment où la campagne référendaire a été lancée, un vent d’optimisme soufflait sur les troupes souverainistes. En même temps, l’anxiété était au rendez-vous.

«C’est l’heure du choix», avait déclaré le premier ministre du Québec et chef du camp du Oui, Jacques Parizeau. Il avait été élu l’année précédente pour former un gouvernement péquiste qui promettait de consulter les Québécois sur l’avenir de la province au sein du Canada.

Les derniers mois avaient été riches en débats, notamment sur les étapes menant à la souveraineté du Québec. M. Parizeau tenait fermement à ce que la souveraineté se réalise rapidement et que des liens limités soient conservés avec le Canada. Le chef du Bloc québécois, Lucien Bouchard, et le chef de l’Action démocratique, Mario Dumont, voulaient pour leur part qu’un partenariat soit proposé en bonne et due forme à Ottawa.

Les négociations n’ont pas été à l’image d’un long fleuve tranquille. Par moments, M. Parizeau et M. Bouchard ne se parlaient pas, mais chacun finissait par revenir à la table de négociations. «C’était une coalition, explique l’attachée de presse de l’époque de M. Parizeau, Marie-Josée Gagnon. Il fallait trouver une convergence et il fallait discuter des points de divergence.»

«M. Bouchard et M. Dumont disaient que oui, il faut divorcer, mais on va essayer de rester bons amis avec le conjoint canadien. Et M. Parizeau représentait celui qui voulait le divorce, mais advienne que pourra.» –Jean-François Lisée, ancien conseiller de Jacques Parizeau et député de Rosemont

Les trois chefs se sont finalement entendus. Le 12 juin 1995, ils ont annoncé qu’une période de négociations s’étendrait sur une année en cas de victoire du Oui.

Pendant l’été 1995, les sondages internes du Parti québécois étaient favorables. Un coup de sonde au mois d’août, qui donnait la majorité au camp du Oui, a convaincu les trois chefs d’aller de l’avant avec un deuxième référendum.

En septembre, l’option souverainiste a commencé à dégringoler. Le ministre délégué à la Restructuration, Richard Le Hir, a été soupçonné de favoritisme en lien avec des études sur la souveraineté. En plus, le camp du Non a commencé à s’activer avant le début de la campagne référendaire. Les trois chefs souverainistes ont gardé le cap.

«À un moment, c’est devenu très incertain, s’est rappelé l’ancien conseiller de Jacques Parizeau, Jean-François Lisée. Le chef de cabinet de M. Parizeau, Jean Royer, et moi, on s’est demandé si c’était pire de perdre ou d’être tellement faibles qu’on ne pouvait même pas se poser la question. On s’est dit que si on perdait, au moins, il y aurait un progrès par rapport à 1980.»

Le Oui a continué à plafonner dans les sondages. Il a remonté avec la nomination de Lucien Bouchard comme négociateur en chef. Un geste de totale «abnégation» de M. Parizeau, disent ses anciens collaborateurs. «Ça a donné une autre dimension à la campagne», dit Mme Gagnon.

Quebec Referendum photo taken October 29, 1995. (CP PHOTO) 1998 (stf-Ryan Remiorz)

Dans le camp du Non
Même si le camp du Non part en tête des sondages en 1995, ses stratèges sont conscients que la lutte sera plus âpre qu’en 1980. «René Lévesque a fait son référendum à la fin de son mandat, donc on savait qu’une élection s’en venait. M. Parizeau, lui, a fait son référendum dans sa première année au pouvoir, raconte John Parisella, à l’époque membre du groupe de direction du camp du Non. On ne pouvait pas promettre de changement constitutionnel. On n’avait pas de rêve à vendre. C’était une campagne défensive.»

Le Comité des Québécois et Québécoises pour le Non – nom officiel du camp fédéraliste chapeauté par le Parti libéral du Québec (PLQ) – dispose d’une organisation énorme. Dans une entrevue publiée par La Presse le 7 octobre, l’organisateur en chef de la campagne, Pietro Perrino, parle d’une équipe qui atteindra 100 000 bénévoles déployés partout au Québec.

En plus d’une équipe imposante, le camp du Non met en œuvre pour une des premières fois dans un scrutin québécois le concept américain de «war room», où les conseillers centralisent l’information et élaborent la réponse à donner aux situations d’urgence.

Tôt dans la campagne, le moral des troupes va «du confiant au très confiant», se remémore John Parisella. L’arrivée du chef du Bloc québécois Lucien Bouchard, propulsé à l’avant-scène de la campagne par le premier ministre Jacques Parizeau, vient toutefois changer la donne. «Une dizaine de jours après son arrivée, nous sommes devenus plus soucieux», relate M. Parisella. «Nos focus groups montraient que les gens étaient très impressionnés par M. Bouchard.»

«Le départ d’une province fondatrice du Canada ne pouvait pas laisser le monde financier indifférent. Mais nous n’avons jamais demandé aux gens d’affaires de faire des sorties politiques. C’est un couteau à double tranchant.» – John Parisella, à propos de la réaction néga­tive des milieux financiers face au référen­dum. Un des cas les plus notables est celui du président de Bombardier, Laurent Beaudoin, qui a menacé dès la première semaine de campagne de déménager son entreprise hors du Québec en cas de victoire du Oui.

La poussée du Oui dans les sondages forcera les stratèges fédéralistes à revoir leurs plans. Tenus un peu à l’écart au début du mois, les politiciens fédéraux, dont Jean Chrétien et Jean Charest, respectivement premier ministre libéral du Canada et chef du Parti progressiste-conservateur, occuperont de plus en plus de place à partir de la mi-campagne.

«Le plan initial était de garder les forces québécoises à l’avant-scène, souligne M. Parisella, qui était également responsable de la liaison avec les groupes fédéralistes extérieurs au PLQ. Mais étonnamment, ce sont des politiciens fédéraux – M. Bouchard est chef de l’opposition officielle à Ottawa à l’époque – qui ont fini par prendre les devants dans les deux camps.»

Ce revirement n’a pas été imposé par le fédéral, insiste John Parisella. «Il fallait rassembler les forces, résume-t-il. À la guerre, si tu veux prendre un village et que ton avion se fait tirer dessus, tu changes de stratégie. C’est la même chose en politique.»

Archives référendaires: semaine 1

«Personne ne peut prédire l’avenir, mais il est possible que le 30 octobre soit notre dernier rendez-vous collectif. […] Il faut décider si on dit à nos voisins et au monde entier qu’on existe.» –Jacques Parizeau, premier ministre du Québec, dans une allocution télévisée lors du lancement officiel de la campagne le 1er octobre

JOHNSON«Les difficultés que nous avons pu connaître dans l’histoire récente à apporter certains changements à la Constitution canadienne ne justifient pas la rupture que le OUI nous propose.» –Daniel Johnson, chef du Parti libéral du Québec, dans une allocution télévisée lors du lancement officiel de la campagne le 1er octobre

La question référendaire
Acceptez-vous que le Québec devienne souverain après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique dans le cadre du projet de loi sur l’avenir du Québec et de l’entente signée le 12 juin 1995?

Ligne du temps préréférendaire

  • 1980 Référendum sur le mandat de négocier la souveraineté-association. (Résultat: Oui – 40,44%|Non – 59,56%)
  • 1982 Rapatriement de la Constitution par le premier ministre canadien, Pierre Elliott Trudeau. Seul le Québec ne signe pas la nouvelle Constitution canadienne.
  • 1990 Échec de l’accord du Lac-Meech. Celui-ci prévoyait notamment l’attribution du statut de société distincte au Québec.
  • 1992 Échec de l’accord de Charlottetown. Celui-ci prévoyait entre autres d’accorder au Québec le statut de société distincte, la nomination de trois juges de la Cour suprême et au moins le quart des sièges aux Communes.
  • 1993 Le Bloc québécois, avec à sa tête Lucien Bouchard, devient l’opposition officielle à Ottawa.
  • 1994 Le Parti québécois forme le gouvernement au Québec. Jacques Parizeau en est le chef.

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