Soutenez

La petite reine: le prix à payer

Photo: Films Séville

«Si, mettons, à 16 ans, on m’avait dit: “Steven Spielberg, il prend cette petite pilule-là. Et checke ce qu’il fait.” À 16 ans… je pense que je l’aurais prise», confie Alexis Durand Brault, le réalisateur de La petite reine, qui «s’inspire librement» de l’histoire de la cycliste Geneviève Jeanson. Un film qui se défend d’être un biopic, et qui se veut plutôt une métaphore sur le prix à payer pour atteindre les sommets.

En 2007, la cycliste québécoise Geneviève Jeanson avoue à la caméra, au journaliste Alain Gravel, qu’elle se dope depuis qu’elle a 16 ans. Le réalisateur Alexis Durand Brault (Ma fille mon ange) se souvient du moment où il a vu ce reportage. «Je me disais, ça ne se peut pas que ça soit juste une méchante, parce qu’il n’y a pas d’argent à faire avec ça. C’est pas Lance Armstrong! Je voulais comprendre. Je voulais juste comprendre.»

L’histoire racontée dans son film, inspirée de celle de Jeanson, comporte des moments très proches de la réalité de la cycliste. Toutefois, «pour faire le film qu’on voulait faire, c’était clair qu’il fallait s’intéresser surtout à la complexité émotive, à la situation dans laquelle elle était, et non pas aux faits», raconte Catherine Léger, qui a co-scénarisé La petite reine avec Sophie Lorain. Quelle course a été gagnée ou perdue, quelle drogue l’athlète prend; tout ça n’a eu que peu d’importance au final pour traduire avec justesse l’émotion recherchée.

C’est Laurence Lebœuf qui chausse les souliers à clip de Julie Arseneau, une coureuse cycliste à deux doigts de gagner la Coupe du monde et que son médecin dénonce pour dopage. L’actrice s’est entraînée pendant un an pour le rôle, qu’elle a assumé sans avoir recours à une doublure. Cet entraînement lui a permis d’aller au-delà des scènes de vélo. «Il y a quelque chose dans l’entraînement et au niveau physique qui a comme ouvert quelque chose, une brèche émotive que je ne connaissais pas, affirme l’actrice. Je ne sais pas c’est quoi, mais ça a ouvert quelque chose qui a fait qu’on a poussé les bons boutons à la bonne place.»

[pullquote]

Geneviève Jeanson, sans avoir droit de regard sur le scénario, a été présente à plusieurs moments de la production. Entrevues avec le réalisateur, les scénaristes, avec Laurence Leboeuf, présence sur le plateau aussi. Le film n’aurait pu être fait sans sa participation, croit Alexis Durand Brault. «Elle ne parlait jamais du texte, mais de tout ce qui est bicyclette, du style: ça c’est crédible, ça c’est pas crédible, moi je faisais ça comme ça [elle le commentait]. C’est elle qui a montré à Laurence comment elle se piquait! Je pense que ç’a été une inspiration émotive pour Laurence. À la fin, les deux étaient vraiment rendues presque pareilles», ajoute celui qui, pendant l’entrevue, parle de Laurence et dit «Geneviève» et inversement.

Décrire la game
Le désir de trouver le ton jugé juste pour raconter cette histoire a fait en sorte que le processus a été long. Six ans se sont écoulés jusqu’à l’achèvement du film. « [Afin de] ne pas devenir mélodramatique, sensationnaliste ou cheap, soutient M. Durand Brault. Comprendre, analyser, recommencer. On a recommencé trois fois, pour réécrire, recomprendre.» Car au-delà du dopage et du sport se noue un drame humain complexe. «À un moment donné, [j’ai dit à Geneviève Jeanson], oui, mais tu te faisais battre, poursuit le réalisateur. Et elle me répondait: “Oui, mais c’est pas si grave que ça, et ça faisait partie de la game.” C’est quoi ça, ça fait partie de la game? Là, j’ai compris qu’elle trouvait que ça faisait partie du prix à payer pour ce qu’elle voulait faire. C’est quand même fort.»

Ni victime, donc, ni bourreau, ou un peu des deux. «Ce qui nous intéressait, c’était de voir comment une jeune femme est prise dans un engrenage duquel elle ne peut pas sortir. Parce qu’elle ne le veut pas. Parce qu’elle défend son os, parce qu’elle doit faire plaisir, parce qu’elle a une marchandise à livrer, parce que ça lui apporte quelque chose, parce qu’elle est très solitaire, très seule dans tout ça», explique la co-scénariste Sophie Lorain.

Une petite reine, trois métaphores

«La petite reine», c’est d’abord une expression française qui désigne le vélo. Pour Laurence Lebœuf, l’expression décrit aussi bien son personnage. «Julie, c’est quelqu’un qui cherche le spotlight, qui aime être connue, reconnue, qui aime le vedettariat. Ça fait “petite reine”. Il y a quelque chose comme ça aussi quand t’es en possession de ton vélo, t’as comme une espèce de fierté à maîtriser ta technique et à faire de grandes performances, qui fait un peu “petite reine”; même par rapport à la famille, être un peu le centre de tout.»

Pour le réalisateur Alexis Durand Brault, le film est aussi une métaphore du succès et le chemin pour s’y rendre. «Je pense que, derrière toute grande réussite, il y a souvent des histoires comme ça. Il y a de la souffrance. Il y a peut-être un peu de dopage, peut-être pas. Mais il y a toujours quelque chose. Plus tu vas haut, plus il y a quelque chose», estime-t-il.

«Il y a une pression énorme de performer sur les athlètes, c’est comme si on leur demandait de se doper. On ne peut pas continuer à battre des records constamment…» réfléchit pour sa part la scénariste Catherine Léger.

Cette pression de performance va au-delà du monde du sport et force à se questionner sur la part de responsabilité de chacun. «C’est dans le milieu des affaires, des arts, de n’importe quoi. Si tu ne performes pas aujourd’hui, too bad, explique Sophie Lorain, qui signe aussi le scénario. Et on ne veut pas savoir comment [tu y arrives]. On veut voir le résultat.» «Ce [que Geneviève Jeanson] a fait, on a tous ça en nous. On a juste pas rencontré les “bonnes” personnes pour que ça se développe.»

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=KGCx_ETsh7k]
La petite reine
En salle dès le 13 juin

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.