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Le féminisme à l’heure des réseaux sociaux

Photo: Getty Images/iStockphoto

L’union fait la force, dit la devise adoptée par plusieurs pays. Bien des femmes l’ont compris au cours de la dernière année lorsque des discussions virtuelles ont été lancées sur les réseaux sociaux à propos d’enjeux les concernant.

«Une par une, on peut faire une différence, mais lorsqu’on est en gang, on se soutient, on se protège et on se donne de la force aussi. Les réseaux sociaux permettent une telle expression», a affirmé la présidente de la Fédération des femmes du Québec, Alexa Conradi.

Au cours des derniers mois, des hashtags féministes ont été partagés à des milliers, voire à des millions de reprises, notamment pour les femmes victimes de misogynie (#YesAllWomen), les lycéennes nigérianes kidnappées par le groupe de djihadistes Boko Haram (#BringBackOurGirls) et, plus près de nous, pour les femmes autochtones disparues et assassinées (#AmINext) et celles qui ont été agressées sexuellement (#AgressionNonDénoncée ou #BeenRapedNeverReported.

La présidente du Conseil du statut de la femme, Julie Miville-Dechêne, qui est elle-même une grande utilisatrice des réseaux sociaux, croit que ces nouveaux outils de communication permettent d’ouvrir les débats et de multiplier les points de vue, qu’ils soient positifs ou négatifs. Si ces campagnes virales n’ont pas toutes engendré des actions des autorités politiques pour endiguer les problèmes de violence faites aux femmes, les réseaux sociaux ont malgré tout permis de conscientiser une grande partie de la population à ces drames humains, selon l’ancienne journaliste.

«Ce genre de campagne [sur les réseaux sociaux] permet à des enjeux qui autrement n’auraient pas la chance de venir à l’avant-plan de le faire», a dit Mme Miville-Dechêne. Elle donne l’exemple des femmes autochtones, qui représentent environ 1,8% de la population féminine du Québec. La campagne #AmINext, instiguée par l’Ontarienne Holly Jarrett, n’a pas entraîné la tenue d’une commission d’enquête sur les disparitions et les assassinats de 1186 femmes autochtones de 1980 à 2012, mais elle a permis d’initier des pourparlers avec les autorités fédérales et surtout, d’informer les Canadiens sur le sort réservé à ces femmes.

Alexa Conradi est du même avis. «Lorsqu’on fait face à un gouvernement qui ne veut rien savoir, qui pense que c’est un problème criminel et non sociologique et qui n’est pas intéressé à entendre les femmes autochtones, on rencontre des limites, a expliqué la leader féministe. Mais ce que le gouvernement sous-estime, c’est que le travail de conscientisation de la population peut lui coûter des sièges aux prochaines élections.»

Les réseaux sociaux, particulièrement Twitter, permettent de vendre une cause avec des messages qui peuvent se comparer à ceux des publicités, a constaté la professeure en études littéraire de l’UQAM, Martine Delvaux. «Comme il y a 140 caractères, il faut un mot-clic qui pogne et trouver quelque chose à dire de punché, a-t-elle analysé. Je trouve cela intéressant parce que le domaine de la publicité, c’est un domaine de gars pour des consommateurs qui sont en majorité des femmes à bien des égards. Tout d’un coup, ce sont elles qui vont se servir de ce médium.»

Le mot-clic #AgressionNonDénoncée, devenu viral dans la foulée de l’affaire Ghomeshi, a de son côté poussé le gouvernement du Québec à mettre sur pied une commission parlementaire sur les agressions sexuelles que subissent les femmes, dont les travaux commenceront le 16 mars prochain.

«Dans le mouvement des femmes, [l’ampleur de ce problème de violence sexuelle] était le secret le moins bien gardé. Il suffisait d’une étincelle pour que la société s’en rende compte», a indiqué Mme Conradi. Cette dernière a rapporté que la campagne virale #AgressionNonDénoncée a incité plusieurs femmes à communiquer avec les centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) et les centre des femmes.

«On a toujours considéré que c’était un non-enjeu parce qu’on n’en parlait jamais et que ce n’était pas visible, a déploré de son côté la blogueuse de Voir et Ricochet, Aurélie Lanctôt. C’est partout et ça toujours été partout, dans les familles, dans les universités et même sur la Colline parlementaire.»

Pendant que des hommes ont été surpris des proportions du phénomène des agressions sexuelles, d’autres – en nombre restreint – ont nié et s’en sont pris aux femmes sur les réseaux sociaux. Certains ont même menacé de poursuivre les dénonciatrices, d’après la Fédération des femmes du Québec.

«J’ai l’impression que lorsqu’une parole s’élève, comme celle [des femmes agressées], c’est difficile de la faire taire, a mentionné Martine Delvaux. Il y a un backlash, mais il est peut-être plus insidieux et caché.»

Pour la blogueuse féministe de la Semaine rose, Marilyse Hamelin, les réseaux sociaux représentent un moyen d’échanger des idées, mais aussi un réseau d’entraide entre les femmes.

«Il y a une forme de sororité sur le web, a-t-elle rapporté. Ce n’est pas toujours facile. On se fait rentrer dedans. Il y a beaucoup de misogynie sur le web. Les commentaires peuvent être très violents. Devant cela, c’est un réseau essentiel.»

Au final, les réseaux sociaux permettent au mouvement féministe de constater où est rendue la réflexion de la société sur les multiples enjeux qui les concernent. Avec les réponses des internautes, les femmes accumulent les arguments pour obtenir des gains, notamment en ce qui concerne le retour des cours d’éducation sexuelle à l’école. Les représentantes de ce mouvement espèrent que ce sera le début de grands changements, même si plusieurs combats restent à faire.

 

Plus de contrôle sur le web
La blogueuse féministe Marilyse Hamelin est très préoccupée par les propos misogynes véhiculés sur le web.

  • «En ce moment, c’est un peu le free for all sur les réseaux sociaux en général et même sur les pages des médias, a indiqué la blogueuse de la Semaine rose. Il n’y a pas de modération et il y a toutes sortes de niaiseries qui circulent.»
  • Elle s’inquiète surtout des masculinistes, dont certains rendent hommage à l’auteur de la tuerie de Polytechnique, Marc Lépine. «Ils ont été poursuivis en cour, mais ils n’ont pas été condamnés parce qu’il n’y a pas d’outil législatif contre la propagande haineuse basée sur le sexe», a-t-elle dit.
  • Mme Hamelin entend profiter de la prochaine campagne électorale fédérale pour demander des modifications au Code criminel afin que les dispositions portant sur des discours haineux incluent des motifs basés sur le sexe. Évidemment, elle pense utiliser les réseaux sociaux pour interpeller les partis politiques.
  • Un groupe de féministes publient d’ailleurs vendredi une lettre dans les pages du quotidien Le Devoir pour demander aux médias et aux politiciens de prendre des mesures pour que les échanges sur le web soient plus respectueux à l’égard des femmes. «Le web et les réseaux sociaux sont des lieux hostiles aux femmes, surtout lorsqu’il s’agit d’exprimer des idées féministes, écrivent-elles. Pourtant, ces lieux d’expression sont de plus en plus déterminants : nous en éloigner est brimant et limitatif. Nous souhaitons qu’une discussion collective s’engage afin de faire du web un lieu respectueux pour chacune.»

Les réseaux sociaux, idéaux pour un débat?
Twitter, Facebook et des autres réseaux sociaux permettent-ils d’engager un débat constructif?

  • «Ce n’est pas idéal, mais en ce moment, c’est ce qu’on a de mieux pour élargir le débat», a dit la présidente du Conseil du statut de la femme, Julie Miville-Dechêne. Selon elle, une discussion verbale permettrait un meilleur débat qu’un échange écrit car les interprétations peuvent être différentes devant une même inscription.
  • La professeure de l’UQAM, Martine Delvaux, croit que les réseaux sociaux ont le mérite d’être «plus démocratiques et plus faciles à investir» que les médias traditionnels, mais ceux-ci sont essentiels selon elle à la bonne conduite d’un débat.
  • La blogueuse Marilyse Hamelin utilise pour sa part stratégiquement les réseaux sociaux. «Mes idées, je les partage dans mes textes, et mes textes, je les partage sur les réseaux sociaux», a-t-elle indiqué.

TWEET

«Our prayers are with the missing Nigerian girls and their families. It’s time to #BringBakOurGirls

– Michelle Obama, première dame des Etats-Unis, qui dans un tweet daté du 7 mai, indiquait que ses prières sont adressées pour les jeunes nigérianes enlevées par Boko Haram et qu’il était temps de «ramener nos filles». Cette campagne virale a été initiée par la cinéaste Ramaa Mosley.

 

«He was my grandfather. I was 3-9yo. Cops wanted to now why I waited to long to report it. #BeenRapedNeverReported
– Sue Montgomery, journaliste, a raconté sur les réseaux sociaux avoir été agressée par son grand-père lorsqu’elle était âgée de 3 à 9 ans. Avec la journaliste du Toronto Star, Antonia Zerbisias, elle a propagé le hashtag #BeenRapedNeverReported. La Fédération des femmes du Québec et le groupe Je suis indescriptible ont par la suite lancé le pendant francophone #AgressionNonDénoncée.

 

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