Ce que nous savons sur les manifestations en Iran
DUBAÏ, Émirats arabes unis — Au moins 13 personnes, dont un policier, ont été tuées dans les manifestations qui se déroulent depuis cinq jours en Iran, et des manifestants armés ont tenté de pénétrer dans des postes de police et des bases militaires, rapportaient les médias iraniens, lundi.
Les manifestations ont commencé jeudi pour dénoncer les problèmes économiques. Elles se sont depuis répandues dans plusieurs villes. Des centaines de personnes ont été arrêtées.
Voici ce que nous savons jusqu’à maintenant:
COMMENT LES MANIFESTATIONS ONT-ELLES COMMENCÉ?
Les manifestations ont commencé jeudi, à Mechhed, deuxième ville d’Iran et lieu important de pèlerinage chiite. La ville est un bastion conservateur et un château fort d’Ebrahim Raïssi, un homme politique et religieux qui s’est opposé sans succès au président Hassan Rohani lors de l’élection de l’an dernier. Des analystes suggèrent que les conservateurs ont commencé à manifester pour faire pression sur M. Rohani, politicien modéré dans le gouvernement théocratique iranien. Les manifestations se sont rapidement répandues à travers le reste du pays, qui compte 80 millions d’habitants.
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QUE VEULENT LES MANIFESTANTS?
Les manifestants se préoccupaient d’abord de l’économie chancelante de l’Iran. Bien que le pays puisse maintenant vendre du pétrole sur le marché international après l’entente de 2015 sur le nucléaire, l’Iran est aux prises avec une hausse de l’inflation et un taux de chômage élevé. Une récente augmentation du prix des oeufs et de la volaille allant jusqu’à 40 pour cent, qu’un porte-parole du gouvernement a attribuée à un massacre des bêtes par crainte d’une propagation de la grippe aviaire, semble avoir été l’étincelle qui a lancé les manifestations. Les manifestants ont crié des slogans s’opposant à M. Rohani et au guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. Certains ont critiqué l’appui militaire de l’Iran au président syrien Bachar el-Assad.
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QUI EST À LA TÊTE DES MANIFESTATIONS?
Jusqu’à maintenant, aucun leader central ne s’est manifesté, contrairement au soulèvement de 2009, qui s’opposait à la réélection du président conservateur Mahmoud Ahmadinejad, que les manifestants jugeaient frauduleuse. Ce «mouvement vert», les plus importantes manifestations depuis 1979 en Iran, avait mené la Garde révolutionnaire et ses affiliés à prendre des mesures répressives. Des milliers de manifestants avaient été détenus, des dizaines tués et d’autres torturés. Bien que les nouvelles manifestations n’aient pas de leader, elles ont été en partie attisées par un journaliste en exil nommé Roohallah Zam, qui utilise une application de messagerie mobile appelée Telegram.
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COMMENT LE GOUVERNEMENT A-T-IL RÉPONDU?
L’Iran affirme avoir temporairement bloqué l’accès à Telegram et à l’application de partage de photos Instagram dans le but de «maintenir la paix», limitant ainsi la capacité des manifestants de partager des images et de publiciser les manifestations. Facebook et Twitter étaient déjà bloqués. Des policiers en uniforme et en civil circulent dans les rues, tout comme des membres à moto du Basij, une force paramilitaire de la Garde révolutionnaire qui a participé à la répression de 2009. M. Rohani lui-même a déclaré que l’Iran permettait les manifestations, et les autorités tolèrent généralement de plus petits rassemblements et grèves. M. Rohani et d’autres dirigeants ont toutefois prévenu que le gouvernement n’hésiterait pas à arrêter ceux qui enfreignent la loi.
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Y A-T-IL EU DE LA VIOLENCE?
Au moins 13 personnes ont été tuées jusqu’à maintenant, dont un policier. La télévision d’État iranienne a rapporté lundi que les forces de sécurité avaient repoussé des «manifestants armés» qui ont tenté de pénétrer dans des postes de police et des bases militaires, sans toutefois donner plus de détails. Des images publiées par des agences de presse iraniennes semi-officielles montrent que des canons à eau ont été utilisés à Téhéran. On y voit également des dommages causés par des manifestants sur des biens publics. Plusieurs centaines de personnes auraient été arrêtées, mais la police affirme que plusieurs d’entre elles ont été relâchées. Des vidéos circulant en ligne montrent des manifestants saluant des policiers et marchant paisiblement.
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COMMENT LE MONDE A-T-IL RÉAGI?
Le président américain Donald Trump a appuyé les manifestations dans plusieurs messages publiés sur Twitter. Le département d’État a accusé les leaders iraniens de «transformer un pays fortuné avec une histoire et une culture riches en un État épuisé économiquement, dont les principales exportations sont la violence, les bains de sang et le chaos». M. Rohani a balayé du revers de la main les critiques de M. Trump, alors que plusieurs Iraniens continuent d’en vouloir au président américain en raison de son décret les empêchant d’obtenir des visas américains et de son refus de recertifier l’accord sur le nucléaire.
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L’IRAN EST-IL UNE DÉMOCRATIE?
L’Iran se décrit comme une République islamique. Les élus adoptent des lois et gouvernent au nom de leurs électeurs. Le guide suprême prend toutefois la décision définitive sur tous les enjeux de l’État. Le Conseil des gardiens de la Constitution, un comité de 12 membres choisis par le guide suprême, doit approuver toutes les lois. Le Conseil approuve également tous les candidats présidentiels et parlementaires. Les forces de sécurité qui n’obéissent qu’au guide suprême, comme la Garde révolutionnaire, arrêtent régulièrement des étrangers et des personnes détenant une double citoyenneté et les utilisent comme monnaie d’échange dans des négociations internationales.
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QU’ARRIVERA-T-IL ENSUITE?
Les manifestants ont appelé la population à poursuivre les manifestations dans les prochains jours. Alors que M. Rohani a déclaré que le gouvernement permet les manifestations, toutes les plus récentes ont été tenues sans permission policière, ce qui est illégal. Ultimement, le guide suprême décidera comment les autorités répondront. Comme l’a écrit Cliff Kupchan de l’Eurasia Group dans une analyse, dimanche: «Lorsqu’il est question de la survie du régime, Ali Khamenei tient les rênes. Et il a plusieurs troupes loyales et impitoyables à sa disposition.»