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«Kony 2012» ou l'émotion à tout prix

En une dizaine de jours, un obscur rebelle africain est sorti de l’ombre pour devenir, bien malgré lui, la grande vedette du cyberespace. Des millions de personnes connaissent désormais le visage de Joseph Kony, alias le «Messie sanglant».

Pendant des années, il a tué, égorgé, violé et recruté des milliers d’enfants pour son Armée de Résistance du Seigneur, sans craindre ni Dieu ni diable. Quant à la justice des hommes, il en riait. Aujourd’hui, l’Ougandais sanguinaire doit se faire tout petit dans la jungle à cause d’une vidéo de 30 minutes réalisée par Invisible Children, une ONG californienne. Elle a dépassé les 100 millions de visionnements.

«Kony 2012» est un documentaire coup de poing. Efficace. Mais, la superproduction hollywoodienne, avec ses gros plans de visages meurtris et sa musique dramatique, tourne les coins ronds. Elle «oublie», par exemple, de rappeler que le régime du président ougandais Yoweri Museveni recrute également des enfants soldats. Il faut dire que son gouvernement est soutenu par Washington.

En octobre, Barack Obama a envoyé à son «ami» Museveni, au pouvoir depuis 1986, une centaine de soldats pour traquer Kony. Il faut dire que la zone où il se terre regorge d’or noir. Exploitation pétrolière et instabilité militaire ne font jamais bon ménage.

Avec sa vidéo virale, Invisible Children a réussi, contrairement aux médias traditionnels, à sensibiliser l’opinion internationale et surtout les jeunes aux exactions de Joseph Kony. Il faut dire que l’ONG se remplit les poches par la même occasion. Sur son site, elle propose la vente, pour une trentaine de dollars, de tee shirts et de bracelets anti-Kony. Ils sont épuisés.

De manière générale, les ONG doivent tout faire pour ne pas transformer la souffrance humaine en machine à sous ou en spectacle. Avec les réseaux sociaux, elles ont réussi à se libérer du «diktat» des médias classiques pour déterrer des conflits oubliés. C’est bien. L’indifférence n’est plus de mise.

Mais en cherchant à dénoncer à tout prix, elles ont tendance à tourner le dos à la complexité, à prendre des raccourcis déontologiques. Elles font couler les «robinets à images» que sont Twitter et Facebook.

Résultat : l’émotion prime sur l’information et cette dernière cède sa place à la communication consensuelle. Machiavel a vu juste il y a cinq siècles: les hommes jugent avec leurs yeux.

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