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Non, cette photo ne montre pas des réfugiés musulmans qui refusent d’aider une femme

Une photo vaut souvent mille mots. Par contre, quand on l’interprète sans trop savoir ce qu’elle représente, elle peut aussi valoir mille maux (d’accord, blague facile).

Voici un tweet du chroniqueur albertain et fondateur du média The Rebel, Ezra Levant, très connu pour ses positions très à droite:

«Sept jeunes migrants musulmans en santé, bien chaussés, indifférents envers une femme seule, nus-pieds, qui transporte deux bébés et un sac», a-t-il écrit. L’intention est claire: voici le genre de comportement dont on peut s’attendre de la part des réfugiés musulmans.

M. Levant n’est pas seul. Un lecteur assidu a fait parvenir à l’inspecteur viral un courriel en chaîne qui circule depuis un bon moment et qui inclut cette photo, intitulé «la photo qui parle».

«Aucun des hommes ne lui vient en aide, car dans la culture musulmane, la Femme ne représente rien. Elle n’est bonne qu’à être l’esclave de l’homme. Pensez-vous vraiment que ce type d’individus pourraient s’intégrer dans nos pays et respecter nos coutumes et traditions???» peut-on lire.

Plusieurs «médias» français en ont d’ailleurs fait leurs choux gras, affirmant que cette photo a été «censurée» par les médias traditionnels, puisqu’elle n’est «pas conforme» à l’image des réfugiés qu’ils tenteraient de propager (nous y reviendrons plus bas, mais ça n’a aucun rapport avec la réalité).

C’est drôle (non, ce n’est pas super drôle en fait), mais plusieurs personnes ont violemment réagi à cette photo, même si ils ne savaient à peu près rien sur son contexte. Voici la légende qui accompagnait cette photo, prise par un photographe de l’Associated Press (AP):

«Un groupe de migrants marchent dans la rue en direction de la frontière entre la Serbie et la Croatie, près du village de Berkasovo, lundi le 19 octobre 2015. La tension était au comble alors que des milliers de migrants, en quête d’une meilleure vie en Europe, étaient coincés dans la brume et le froid dans les Balkans, dimanche, deux jours après que la Hongrie ait fermé ses frontières à la Croatie. Le flot de migrants a été redirigé vers une route beaucoup plus lente via la Slovénie.

Et… c’est tout. Remarquez que nulle part on affirme que ce sont des musulmans,  que ces gens se connaissent ou que ces hommes font exprès pour ne pas aider la femme.

Mais heureusement, le journalisme existe, et nous pouvons donc parler à des gens qui étaient là ce jour-là pour avoir une meilleure idée de ce qui se passait. Il serait assez impossible de traquer la dame pour lui poser des questions, mais l’inspecteur viral a réussi à contacter le photographe serbe qui a pris la photo en question, Darko Vojinovic. Il est le mieux placé pour raconter ce qui se passait quand il a pris ce cliché.

Après plusieurs jours et quelques courriels (oui, le journalisme, c’est plus long et plus exigeant que de simplement inventer une histoire et lancer un gazouillis), l’AP a fait parvenir à l’inspecteur viral un courriel de M. Vajinovic (capture d’écran du courriel en question ici pour les curieux). Voici la scène qu’il décrit (l’inspecteur a mis quelques passages en caractères gras):

«Ça s’est passé un matin brumeux, près d’un point d’entrée illégal entre la Serbie et la Croatie, près du village de Berkasovo.
Les autobus ont déposé les migrants à quelques kilomètres de là.
Les migrants devaient franchir cette distance à pied.
La rue était bondée de migrants, certains marchant plus vite, d’autres plus lentement.
Il me semblait que les personnes dans la photo ne se connaissaient pas.
Les hommes marchaient plus vite que cette femme avec ses enfants et ils l’ont contourné.
Les migrants proviennent de plusieurs pays, et, en mon expérience, ils gardent une certaine distance entre eux quand ils sont dans les camps, dans les trains et sur la route. Ils se mêlent de leurs propres affaires.»

Donc en résumé: des hommes ont passé une femme qu’ils ne connaissent pas dans la rue, et qui ne parle probablement même pas leur langue. Ils ont décidé de ne pas l’aider à transporter ses enfants.

Question aux hommes: arrêtez-vous régulièrement des mamans que vous ne connaissez pas dans la rue pour offrir de l’aider avec ses enfants?

Question aux mamans: demanderiez-vous à un groupe d’étrangers qui ne parlent pas votre langue de vous aider à transporter vos enfants?

En fait, l’inspecteur viral a décidé de tenter une expérience. Il a demandé à une photographe de Métro de prendre une photo si, au courant de sa journée, elle apercevait une femme qui transporte un enfant dans ses bras sans l’aide de son entourage. À peine une heure plus tard, elle lui a envoyé ceci:

pour jeff1

«Pensez-vous vraiment que ce type d’individus pourraient s’intégrer dans nos pays et respecter nos coutumes et traditions???»

Ce n’est pas un phénomène très rare. En général, les mamans ne confient pas leurs enfants à des étrangers, peu importe les inconvénients que ça leur cause! Voyons donc!

Il est facile, avec une certaine mentalité, de regrouper une catégorie de gens pour pouvoir mieux les juger. Dans ce cas-ci, on a automatiquement assumé que tous les réfugiés se connaissent, forment «un peuple», et devraient donc s’entraider. Par contre, quand on regarde une photo de Montréalais qui n’aident pas une maman avec son bébé, on comprend que les gens dans la photo sont sûrement des étrangers, et qu’il est logique qu’ils n’interagissent pas.

En bref: plusieurs de ceux qui ont commenté cette photo n’ont aucune idée de ce dont ils parlent et l’interprètent de façon idéologique en faisant fi de la logique et du gros bon sens.

En ce qui a trait aux médias traditionnels qui ont «censuré» cette photo…

Écoutez, la nouvelle, ce jour-là, c’était qu’il y avait eu des tensions à la frontière entre la Serbie et la Croatie. On a donc choisi des photos qui illustrent la nouvelle.

Capture d’écran 2016-03-10 à 09.24.35

 

La photo de la dame ne fonctionne pas avec ce genre de nouvelle.

photo afp

Ça ne marche pas. C’est moins dynamique. On n’a pas l’impression, en regardant la photo, qu’il y a une «crise explosive».

Boom.

Si l’inspecteur avait un micro, il le laisserait tomber par terre.

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