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Viser l’apparence

«Pourquoi avoir fait une accolade à une journaliste si sa couverture vous dérangeait?» a demandé Jean Sasseville lors du point de presse de Guy Julien sur les propos qu’il a tenus et les gestes qu’il a commis à l’endroit de la journaliste de Radio-Canada Marie-Claude Julien. «Pourquoi avez-vous attaqué son physique plutôt que son travail?» a demandé une autre journaliste. Il n’y a qu’une seule réponse à ces deux excellentes questions:­ parce que depuis toujours, on a réduit les femmes à leur apparence physique et «objectifié» leur corps de manière à les invalider, qu’il s’agisse d’une manœuvre consciente ou inconsciente.

C’est une des tactiques les plus banales pour éloigner les femmes des sphères du pouvoir et maintenir les boys club en place. Dans le cas de Guy Julien, toutefois, la stratégie a été éventée, et par nul autre que lui-même, de façon explicite: «Je lui ai dit qu’elle avait engraissé, ha ha ha!» C’est une admission: dans l’extrait vidéo capté à son insu, Guy Julien se félicite d’avoir disqualifié la journaliste en tentant de l’insécuriser quant à son apparence physique, puis admet s’être planté, voyant que ça n’a pas vraiment fonctionné.

Il serait tentant de voir dans le caractère péjoratif du commentaire le plus gros du problème. «T’as engraissé», objectivement, ce n’est pas une insulte. Si vous vous remettez d’une maladie, ça peut même être une forme de compliment maladroit. Ce qui n’a pas sa place dans une relation professionnelle, et qui plus est dans une relation conflictuelle, c’est le commentaire sur l’apparence physique et, rappelons-le, l’accolade, taponnage de cheveux inclus. Ça, c’est carrément de l’intimidation, voire du harcèlement. Commenter l’apparence physique de quelqu’un, homme ou femme, en bien ou en mal, n’a pas sa place dans un milieu de travail, même si l’effet sur une femme est autrement important.

Sitôt qu’elle est réduite à son apparence physique – sur laquelle elle n’a que peu de pouvoir –, la femme est disqualifiée. C’est d’ailleurs ce qui constitue le principal écueil des concours de beauté. Ceux-ci ont beau clamer haut et fort qu’ils valorisent la personnalité des candidates au-delà de l’apparence, reste que les caractéristiques physiques continuent de faire partie des critères, et le défilé en bikini, d’être une épreuve. «Charmante» peut bien être un trait de personnalité, reste que soutenir une œuvre de charité se positionne relativement bas dans l’échelle de l’implication politique.

C’est ce qui a rendu la déclaration anti-Harper d’Ashley Callingbull, notre nouvelle Miss Univers, si étonnante pour certains. On imagine difficilement une jolie fille tenir un discours dérangeant. «Quoi, vous pensiez que j’allais m’asseoir et faire la belle?» a répondu la première Miss issue des Premières Nations devant les réactions négatives qu’a suscitées sa prise de position politique.

Ashley Callingbull et Marie-Claude Julien n’ont peut-être pas beaucoup de points en commun, mais leurs histoires dans les médias cette semaine révèlent à quel point l’apparence physique n’a rien de neutre pour une femme qui désire prendre sa place dans la société, et qu’elle peut même être utilisée à des fins neutralisantes.

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