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Cologne: une voie possible entre le déni et la xénophobie

Right-wing demonstrators hold a sign "Rapefugees not welcome - !Stay away!" and a sign with a crossed out mosque as they march in Cologne, Germany Saturday Jan. 9, 2016. Women’s rights activists, far-right demonstrators and left-wing counter-protesters all took to the streets of Cologne on Saturday in the aftermath of a string of New Year’s Eve sexual assaults and robberies in Cologne blamed largely on foreigners. (AP Photo/Juergen Schwarz) Photo: Archives Métro

Depuis le 5 janvier, on accuse les féministes progressistes de rester muettes devant les viols qui ont eu lieu à Cologne lors de la Saint-Sylvestre. On soupçonne les médias locaux d’abuser de prudence dans le traitement de cette nouvelle parce qu’elle est susceptible d’attiser les tensions raciales, comme si la loi de la proximité dans les médias ne devait concerner que la famine en Somalie, mais pas les nouvelles susceptibles de conforter les vieux fonds xénophobes.

En cette ère d’ultra-réaction, c’est vrai que cinq jours paraissent désormais être une éternité, pour se faire une tête sur un enjeu qui se déroule dans un autre pays, sur un autre continent, dont les éléments d’information arrivent au compte-goutte, lorsqu’elles ne sont pas démenties, et qui implique des éléments hautement sensibles. Beaucoup préfèrent sauter le plus rapidement aux conclusions: les réfugiés sont responsables. C’est bien sûr : la police l’a dit, et d’abord, c’est sûr que des musulmans qui ne sont pas habitués à ça, voir des femmes en mini-jupe, ça les viole.

À l’heure actuelle, force est d’admettre qu’on en sait bien peu sur ce qui s’est passé à Cologne. Trop peu pour dégager ne serait-ce que le début d’une analyse sérieuse des tenants et aboutissants de cette affaire. Les rapports officiels se contredisent. Certains médias parlent de 1000 assaillants, d’autres font état de 120 plaintes. Jusqu’à maintenant, on nous annonce que 18 ou 19 des 31 suspects seraient des demandeurs d’asile. On ne détient pas encore assez de preuves pour procéder à des arrestations, mais c’est bien suffisant pour remettre en question toutes les politiques d’accueil de réfugiés.

Un élément non surprenant de ce drame, toutefois, est que des groupes racistes se découvrent soudainement des penchants féministes, se portant à la défense des femmes – plus spécifiquement de «nos femmes» – lorsqu’il s’agit de pointer du doigt des hommes issus d’autres cultures, alors qu’en toutes autres circonstances, ces mêmes groupes glorifient les rôles traditionnels, lorsqu’ils ne perpétuent pas la culture du viol.

Associer les adeptes d’une religion ou les membres d’un groupe ethnique aux violences sexuelles n’a rien de constructif. C’est à la fois nier que la violence sexuelle se trouve bien vivante dans les cultures occidentales, et stigmatiser les personnes issues de l’asile ou de l’immigration qui n’ont rien à voir avec ces comportements. S’il est vrai que les agresseurs du 31 décembre étaient des maghrébins et arabes en état d’ébriété, alors ceux-ci démontrent qu’ils ont autant peu à voir avec l’islam qu’ils s’adaptent à la culture locale, les agressions sexuelles étant monnaie courante durant l’Oktoberfest.

Évidemment, la crainte d’alimenter les tensions raciales ne doit pas guider la couverture d’un assaut qui ne peut ni être ignoré, ni considéré comme un simple incident anecdotique. Après tout, la culture du viol n’est pas que l’apanage des blancs privilégiés. Ignorer que des facteurs culturels aient pu jouer un rôle dans ces agressions n’aura que l’effet prévisible d’alimenter l’énervement de l’extrême-droite raciste, sans que cela n’aide les victimes. Ces violences doivent être dénoncées pour ce qu’elles sont, et si des éléments culturels ont à être identifiés parmi les facteurs ayant mené à cette violence, ceux-ci doivent être dument mesurés.

De la même façon que devront être analysés d’autres facteurs, tels que l’attitude de la police locale, le message envoyé par les autorités lorsqu’elles recommandent aux femmes de se tenir «à un bras de distance» des hommes dans une foule, ou à simplement éviter les grands rassemblements. Une chercheuse qui s’est penchée sur les conséquences négatives d’un changement de ratio hommes/femmes, notamment en Chine, s’interroge sur les effets possibles d’une migration majoritairement masculine sur la sécurité des femmes. Une hypothèse qui mérite une certaine attention.

Soyons bien honnêtes, le récit des agressions de Cologne n’est pas celui que souhaitent entendre la majorité des progressistes. La plupart préféreraient que l’image des migrants demeure celle du petit Aylan Kurdi. Si une bonne part du commentariat féministe et progressiste semble être demeurée coite au sujet des incidents de Cologne dans les derniers jours – ce qui n’est pas exactement le cas –, c’est probablement qu’elle se trouve en situation d’intersectionnalité. Pour résumer, il s’agit d’une sorte de dissonance cognitive qui survient lorsque dénoncer une situation risque de renforcer un préjugé. L’intersectionnalité invite à la prudence dans l’action, mais pas à l’inaction.

Entre cette attitude et celle, très volontaire, presque enthousiaste, de certains groupes face à cette violence collective, qui prouverait une fois pour toutes que les migrants ne sont des barbares venus violer «nos femmes», confortant les certitudes les plus xénophobes, je vous laisse juger laquelle est la plus nuancée.

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