Soutenez

Karl Lagerfeld, rédacteur en chef invité

L’un des derniers grands couturiers vivants refuse qu’on lui accole une étiquette. À 73 ans, Karl Lagerfeld boit du Coke Diet, cite Percy Bysshe Shelley et trouve encore et toujours le moyen de se réinventer. Deux nouvelles collections verront d’ailleurs le jour sous peu. Métro s’est entretenu avec son rédacteur en chef d’un jour.

Il est 17 h. Karl Lagerfeld devait être là à 15 h 30. Son équipe de relationnistes et moi sommes assis dans son bureau de la Rive gauche de Paris et nous croquons dans des barres à la crème glacée Magnum, pour lesquelles Lagerfeld a réalisé des publici­tés. Je fais attention pour ne pas échapper du chocolat sur les pages des livres sur Chagall, Duchamp et Dali, quelques-uns des ouvragent décorant les murs du bureau.

Un employé m’offre une bouteille rose de Coke Diet sur laquelle une silhouette du designer apparaît. La bouteille a été pensée par Lagerfeld lui-même. Je verse le soda dans un verre Orrefors – créé par Lagerfeld également – et je sirote le breuvage sous un immense chandelier de cristal. Finalement, Karl se pointe, vêtu de cuir et de ses traditionnelles lunettes fumées noires, et reniflant quelque peu. Bienvenue dans le monde de Karl Lagerfeld.

C’est un plaisir de vous voir. Avez-vous lu tous ces livres?
Vous savez, ce sont davantage des livres à regarder qu’à lire. Mes livres de lecture sont ailleurs. Je ne les ai pas tous consultés, mais je n’achète pas des livres au mètre pour que ça fasse joli sur les murs. Vous pouvez passer des heures à regarder ces livres. Alors quand je suis en retard, les gens peuvent passer le temps et apprendre beaucoup de choses. Ainsi, je ne me sens pas coupable. Mais ce n’est pas toujours de ma faute si je suis en retard. Quand le premier rendez-vous de la journée est en retard, tout le reste suit. J’avais un rendez-vous à 11 h et ils sont arrivés après midi. Que voulez-vous?

C’est bien de savoir que vous êtes humain.
Je ne suis pas si humain! Mais vous ne trouverez jamais quelqu’un de plus terre à terre que moi. Impossible.   

Vous êtes sur le point de relancer votre marque Karl Lagerfeld en deux collections, toutes deux vendues en ligne à un prix abordable. Pourquoi?
Aujourd’hui, c’est bien plus facile d’utiliser de bons tissus à bon prix. C’est merveilleux. Quand j’ai collaboré avec H&M, il y a déjà sept ans – je n’arrive pas à y croire –, j’ai été attiré par les gens qui achetaient des vêtements à bon prix. Pas bon marché, puisque les vêtements ne devraient jamais être de qualité inférieure. Ils doivent être bien conçus et à bon prix. Il y a une grosse différence. Il y aura donc une collection top et une collection au top du «bon prix». Rien de low. Quand j’ai collaboré avec H&M, tout le monde me disait de ne pas le faire. Et ça a été un succès. Quand j’ai pris contrôle de Chanel, tout le monde me disait de ne pas le faire. Ça a été un succès. Alors je n’écoute pas les gens et je suis mon instinct.

Passez-vous beaucoup de temps sur l’internet?
Oui. Mais beaucoup de temps, c’est un grand mot. Le temps passe tellement vite que rien n’est beaucoup de temps aujourd’hui.

Vous magasinez en ligne?
Pas personnellement. Je n’ai pas l’internet. Mais l’équipe autour de moi le fait à ma place. Quand je veux acheter quelque chose, je le fais en ligne, mais ce n’est jamais moi personnellement. Je n’entre pas mon numéro de carte de crédit et tout le tralala. Excusez-moi une minute. Pourquoi avons-nous un visiteur? Je ne savais pas que nous aurions un visiteur. C’est pour ça que je suis en retard, vous savez. Parce que les gens se pointent sans rendez-vous.

La vie de Karl Lagerfeld…
Oui. Mais ça ne devrait pas être ainsi, vous savez. [Rires] Je ne fais jamais de réunions. Ça m’ennuie. Vous savez comment j’appelle les réunions?

Non.
Une justification salariale. C’est pour ça que tout le monde fait des réunions interminables.

Que répondez-vous à ceux qui disent que vous faites trop de collaborations?
Rien ne m’affecte moins. En fait, ils devraient m’envoyer un message pour me dire pourquoi ils pensent ça. Mais c’est à moi de déterminer où se situe la limite.

Vous être reconnu pour être avant-gardiste et vous saisissez bien les courants actuels. Y a-t-il tout de même des moments du passé que vous chérissez?
Je ne suis pas un spécialiste du vintage. Dans rien. Ni dans ma vie, ni dans mon travail, dans rien. Je ne garde pas d’archives. Sans doute qu’il existe des archives quelque part, mais je ne garde rien. Je ne suis pas intéressé par ce que j’ai fait. Je suis simplement intéressé par ce que je fais.

Vous avez influencé plusieurs personnes. Qui vous a influencé?
Vous savez, l’influence ne se décrit pas en mots. L’influence a un autre nom : le plagiat. Vous voyez? La vraie influence est dans l’air. Je suis comme une antenne.

Regardez-vous beaucoup la télévision?
J’aime passer à la télé, mais je ne la regarde pas! Je n’ai pas le temps pour ça. Il y a une autre raison : quand je suis seul à la maison, je déteste entendre des voix. J’aime être seul et lire ou dessiner au son de la musique. J’aime la musique, mais je déteste les voix et les histoires. C’est comme s’ils voulaient entrer dans ma vie. Et je n’aime pas les images préfabriquées. Je préfère mon imagination.

Pouvez-vous nous parler des six endroits où vous vivez?
J’ai un endroit où je vis et je dessine. Puis, il y a mon bureau. J’ai une maison de ville et mon studio de photo. Finalement, j’ai deux appartements qui sont plutôt des maisons pour mes visiteurs, puisque je ne veux pas de gens chez moi. Je ne veux pas de promiscuité. Ce n’est pas ma tasse de thé.

Parlant de promiscuité, avez-vous une forte libido?
Hein? Pouvez-vous répéter?

Avez-vous une forte libido?
Non. Ça ne m’intéresse pas vraiment. Ce n’est pas une question de temps puisqu’on peut toujours se contenter d’une petite vite… [Rires] Si vous posez ce genre de question, il faut s’attendre à ce genre de réponse!

Les petites vites, ça peut être plaisant…
Bon, bon bon. Vous parlez comme une vraie Européenne. [Rires] Je pense que le sexe est surévalué.

Quand avez-vous été en amour pour la dernière fois?
Je ne sais pas. J’aime ma liberté.

Vous trouvez les relations trop contraignantes?
Les relations ne sont pas un problème pour la plupart des personnes. Ce n’est juste pas ma tasse de thé.

Si vous aviez un enfant, qu’aimeriez-vous lui léguer?
Il n’y a rien à léguer parce que chaque personne doit créer son propre monde. Tout ce que j’ai appris et vu est arrivé à d’autres époques de toute façon. Le monde est différent maintenant. J’ai un filleul de 3 ans et demi. C’est un génie. Il a toute une personnalité. Il adore les vêtements. Il veut tout, comme moi! Il dort avec ses gants et va à la garderie avec ses verres fumés noirs. C’est hilarant. Je crois que chacun doit trouver sa propre voie. Ce que je n’aime pas, c’est qu’on confine les gens dans des générations. Je ne veux pas être d’une génération plus vieille. Je ne suis d’aucune génération. Je suis de toutes les générations.

Avez-vous déjà eu un animal de compagnie?
Oui, mais ils finissent par mourir, alors je n’aime pas ça. J’en ai eu deux que j’ai vraiment aimés. Ils sont morts. Je n’en veux plus, c’est trop déprimant.

Avez-vous peur de la mort?
Rien ne me dérange moins. Percy Bysshe Shelley a dit que la mort pouvait être un réveil pendant le rêve de la vie. À mon avis, on s’endort et on ne se réveille jamais. On ne se rappelle ni de l’avant, ni de l’après. La seule chose dont je suis sûr, c’est que je ne veux pas être vu mort. Quand c’est fini, c’est fini.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.