Il y a trois mois, il était question dans ces pages des Rohingyas, minorité musulmane persécutée par la majorité bouddhiste en Birmanie. Ce n’est que dans les dernières semaines, timidement, que les médias de masse ont sorti de leur angle mort ce que l’ONU qualifie de plus vaste persécution d’une minorité à l’échelle mondiale et de crime contre l’humanité.
Depuis le tournant du millénaire, l’attention médiatique est braquée sur le terrorisme islamiste. Et bien que les musulmans soient les premières victimes des factions extrémistes de l’islam, la terreur suscitée en leur nom est instrumentalisée aux quatre coins du monde pour justifier des politiques répressives, voire islamophobes, à leur encontre.
C’est le cas des Ouïgours dans le grand ouest chinois, dans la province du Xinjiang, grande comme le Québec et abritant 20 millions d’habitants. Anciens marchands nomades, musulmans et turcophones, les Ouïgours sont des citoyens chinois culturellement rattachés à l’Asie centrale.
Depuis les années 1950, Beijing mène une campagne de dilution des Ouïgours, notamment en encourageant l’établissement de Chinois hans – l’ethnie majoritaire – parmi eux. La proportion démographique des Ouïgours est, depuis, passée de 75 % à 45 %, alors que celle des Hans, dans la même période, est passée de 6% à 40%.
L’enseignement du Coran, l’accès aux mosquées, le port du voile et de la barbe, entre autres choses, font l’objet d’un étroit contrôle. Les musulmans chinois sont limités dans leurs possibilités d’emploi et sont plus en proie que leurs concitoyens hans à la pauvreté, à la violence et à la discrimination systémique.
La province autonome du Xinjiang abrite le cinquième des réserves nationales de pétrole, près du tiers du gaz naturel et 40% du charbon chinois. Se trouvant sur la route de la soie, qui relie la Chine à l’est asiatique, la population ouïgoure sait qu’une campagne d’indépendance serait perdue d’avance devant la volonté implacable de Beijing à garder la mainmise sur les richesses naturelles du Xianjiang.
Dans les dernières années, des attaques perpétrées en sol chinois par des extrémistes ouïgours ont réaffirmé le contrôle pékinois des musulmans de Chine. Or, si une minorité radicalisée joint bel et bien sa voix à celle des islamistes du Moyen-Orient pour l’établissement d’un califat, la très vaste majorité ouïgoure ne s’érige pas en opposition religieuse, mais nationaliste, face au colonialisme éhonté de Beijing et au «pillage organisé» de ses ressources.
C’est justement là que le bât blesse, dans la récupération d’actes terroristes et l’instrumentalisation de la peur populaire face à ceux-ci pour justifier une répression systémique et généralisée des musulmans. Outre les Rohingyas birmans et les Ouïgours chinois, on rapporte aussi une politique d’assimilation en cours contre des musulmans du sud de la Thaïlande. À cela, on doit ajouter le massacre des musulmans par des groupes islamistes au Moyen-Orient.
À l’heure où le populisme et la démagogie prospèrent, le défi des médias est de faire à la fois état des violences subies par des groupes musulmans hétéroclites que de celles issues de ceux-ci. Saura-t-on apporter de nuances nécessaires à un débat fortement polarisé? Les Rohingyas et les Ouïgours l’espèrent.