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La force des idées

Une idée peut changer une personne en profondeur. Elle peut amener quelqu’un à commettre des actes de pure générosité. Elle peut aussi l’entraîner dans les zones les plus sombres et les plus dangereuses de la psyché humaine.

Depuis la terrible attaque de Toronto, beaucoup d’analystes ont insisté sur les dangers des discours toxiques qui circulent sur internet, sur la prolifération des discours misogynes, homophobes ou racistes. On a aussi critiqué les représentations simplistes de la sexualité où les rôles entre les partenaires sont figés et souvent ancrés dans une tradition religieuse dont on oublie parfois qu’elle pénètre encore très profondément notre société.

Le problème, c’est qu’une fois qu’on a dit ça, on n’est pas beaucoup plus avancé.

Les discours toxiques n’agissent pas sur tous de la même façon ni avec la même force. Certaines personnes sont plus influençables et ne sont pas équipées (cognitivement, socialement, etc.) pour voir les pièges d’une idéologie; certaines situations familiales et certaines conditions psychologiques rendent aussi possible le terreau sur lequel la frustration se transformera en ressentiment, puis, dans des cas extrêmes, en violence meurtrière.

Il y a aussi des dynamiques de groupe assez bien comprises qui structurent les mouvements marginaux, les sectes, les groupes fondamentalistes ou les mouvements racistes. Le contenu des discours a certes de l’importance: certains groupes visent plus spécifiquement les femmes, les juifs, les Noirs, les gais, les infidèles, les immigrants, les apostats, etc. Mais tous ces groupes sectaires opèrent sensiblement de la même manière : des «messagers» charismatiques ciblent et recrutent des gens vulnérables; ils encouragent les recrues à couper les ponts avec leur famille et leur cercle social; ils fournissent une grille simple pour identifier ceux qui sont «amis» et ceux qui sont «ennemis» – une distinction le plus souvent tirée d’un texte écrit dans une langue grandiloquente truffée de néologismes; ils déshumanisent les «ennemis» et proposent un «remède» pour les guérir ou pour les faire disparaître.

Il y a finalement la question du caractère public du geste: la très vaste majorité des violences commises par les hommes le sont dans la sphère privée (famille et entourage immédiat). La violence privée est le type de violence «normal» (au sens du plus courant); la violence publique et anonyme envers des étrangers-ères est l’exception. Le fait que des gens passent à l’acte (dans le cas de Toronto, mais aussi dans tous les cas de tuerie de masse) ne peut se comprendre sans tenir compte de cette recherche de gloire, de publicité et de visibilité. «If you cannot be famous, be infamous

Ce dernier aspect doit nous amener à entamer une profonde et difficile réflexion sur le rôle des médias (sociaux et traditionnels) dans la prolifération de ces événements. On sait, par exemple, que nommer le nom du tueur, montrer son visage, revenir constamment sur ses motivations et les moyens qu’il a pris pour parvenir à ses fins provoquent une augmentation de la fréquence de ces tueries publiques. Les êtres humains sont des imitateurs et des copieurs, ne l’oublions pas.

Déconstruire les discours est essentiel. Mais il faut aussi avoir la sagesse et le courage de cesser de reconstituer cette scène sur laquelle le théâtre de l’horreur pourra se jouer et se rejouer, encore et encore.

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