Dès son 12e anniversaire, Imelda Cortez, jeune Salvadorienne aujourd’hui âgée de 20 ans, a subi les violences sexuelles et psychologiques de son beau-père – de 50 ans son aîné. En avril 2017, elle a donné naissance à sa fille dans une toilette. Souffrant de saignements abondants, elle a été transportée à l’hôpital. Or, le médecin, soupçonnant une tentative d’avortement, a alerté les autorités, car l’avortement est illégal au Salvador. S’en sont suivies une période de détention, une enquête et une accusation de tentative de meurtre – menant à une condamnation à 20 ans de prison.
Je voudrais vous dire qu’Imelda est l’exception, mais ce serait vous mentir. Elle fait plutôt partie d’un groupe de femmes (majoritairement pauvres et provenant d’un milieu rural) qui purgent actuellement (ou ont purgé) des peines de prison de plusieurs années après un accouchement problématique. Des saignements comme ceux d’Imelda, un enfant mort-né ou une fausse couche sont autant de situations qui ont été représentées comme des tentatives d’avortement – permettant la condamnation de femmes malgré l’absence de preuves solides. Selon une enquête de Foreign Policy (2017), plus de 150 filles et femmes ont ainsi été poursuivies depuis 1998 pour avortement illégal ou tentative de meurtre en lien avec une grossesse problématique.
En avril dernier, la législature de ce pays d’Amérique centrale déchiré par les violences des gangs criminels devait se prononcer sur un projet de loi visant à assouplir la loi de 1998. Or, la séance a été ajournée sans discussion sur ce qui aurait pu être une avancée importante, notamment pour les femmes victimes de violence sexuelle. Au même moment, deux femmes ont été libérées à la suite de la pression du Center for Reproductive Rights, une ONG basée à New York. Or, le gouvernement salvadorien n’a pas reconnu leur innocence: leur peine de 30 ans a simplement été commuée, car jugée excessive.
L’interdiction totale de l’avortement au Salvador s’inscrit dans un continuum de violences envers les femmes, et les conséquences sont terribles: trois décès maternels sur huit découlent du suicide d’une adolescente enceinte, peut-on lire dans Her Body, Our Laws: On the Front Lines of the Abortion War, from El Salvador to Oklahoma, de Michelle Oberman. Cette loi suggère que les femmes ne sont pas maîtresses de leur corps – qu’elles ne peuvent décider de ce qui est le mieux pour leur santé reproductive et sexuelle. Or, cela ouvre la porte à une pluralité de violences – et de violations de leur volonté et de leur corps.
La violence est d’abord institutionnelle alors que l’État s’approprie le pouvoir de décision sur ce qui est le mieux pour les femmes – tout en fermant les yeux sur les violences sexuelles. Elle est ensuite patriarcale et machiste: le Salvador est le pays présentant le plus haut taux de féminicides (meurtres d’une femme parce qu’elle est femme) du monde, et les agressions sexuelles ainsi que les violences conjugales y demeurent trop souvent impunies. Finalement, la violence est internationale. Alors que les femmes tentent de retrouver un minimum de sécurité – notamment par la migration –, les États peinent encore à reconnaître la violence de genre comme base pour une demande d’asile, fermant les yeux sur une violence grandissante. Alors qu’en moyenne 137 femmes meurent chaque jour dans le monde aux mains d’un conjoint ou d’un membre de la famille selon l’ONU (UNODC, 2018), force est de constater que la sécurité des femmes est menacée de toute part : du public au privé, des parlements à la maison.