Triple boucle piquée à vous. Mais cette fois, réussi, hein. Car hier, en faisant ma smatte qui défie les grand’ glaces du parc tirée par l’enthousiasme d’un très petit chien frisé, j’ai embrassé la glace de la plus franche bise (avec mon front). C’est toujours au moment où j’ai le pas assuré et la dégaine frondeuse que je sacre le camp au sol. Mais ça m’arrive apparemment aussi hors-glace (QUEL FANTASTIQUE PARALLÈLE QUE VOICI).
C’est que, depuis quelque temps, je me suis remise au dessin. Un petit cours, pour fendre l’hiver le cœur plus rose et la tête dégagée. J’en avais oublié la chaleur et l’euphorie. Il est de ces soirs de grésil où chanter Shallow en version karaoké seule dans mon salon ne me suffit pas; le dessin, ce vieil ami laissé dans un scrapbook où je copiais jadis mes caricatures de fillette-étrange-ballerine-en-rollerblade dans le Vieux-Port, m’emballe au plus haut point. C’est donc sur de métaphoriques pines que, chaque mercredi soir, je me surprends à ne pas me trouver d’excuse de pauvresse pour faire l’école buissonnière par anxiété de devoir aller quelque part. J’y ai, jusqu’ici, exploré la fascinante versatilité du graphite, des crayons de bois et l’ivresse d’un ombrage de creux de joue réussi (un plaisir déroutant dont personne ne devrait se priver). Et comme je chéris ces cours avec une sicilienne passion, je me suis découvert une aversion aiguë pour toute personne qui n’est pas attentive comme une papesse au professeur. Qui arrive en retard. Ou pour tout dividu qui interrompt sans cesse les ateliers d’un très assumé : «Qu’est-ce qu’on fait quand on a fini parce que moua j’ai fini?!?» (ce doux romanichel a 30 ans passés).
Je me savais impatiente. Je me sais désormais tropicalement intolérante à tout être qui n’en a que pour sa propre rondelle.
C’est pourquoi je ne me suis pas gênée, la semaine dernière, pour varloper de mon humour pas mal wise un élève qui, ce jour-là, avait décidé qu’il ne venait pas dessiner en cours, mais qu’il allait plutôt sculpter. Un grand boutte de bois devant lui, petit couteau en main, il s’épluchait le pin pendant que la formidable artiste qui investit trois heures par semaine à nous transmettre sa passion et sa lumière de dessinatrice s’efforçait d’ignorer l’impolitesse de son élève. Je me trouvai d’ailleurs fort funnée de lui demander si, au lieu de dessiner, il s’exercerait à la danse près des pastels gras, la semaine suivante.
Eh bien, cette semaine, ledit bougre a passé le cours entier à potasser je ne sais quelle matière, écouteurs sur les oreilles au fond de la classe, en retrait. Et cette semaine, j’ai compris que ce jeune casse-pied d’à peine 18 ans trouvait en fait refuge en notre cours paisible. Il semblait triste. Égaré. Et si seul. J’avais oublié qu’en ces personnes qu’on croise et dont le pas nous exaspère se terrent des épreuves. Des peines. Des existences terribles.
Loin de moi l’idée de vous servir l’Évangile en papier; mais si, comme moi, vous faites à l’occasion les rigolos-bozos, soyez vigilant aux très petits souliers dans lesquels marchent parfois les sculpteurs.
La bise.