Partager sa voiture et son vélo avec ses voisins, réduire sa production de déchets, favoriser l’achat local et créer ses propres «basses technologies» sont autant d’actions qui s’inscrivent dans le mouvement de la décroissance, qui vise à réduire notre empreinte écologique. Tour d’horizon.
«Il faut se rendre compte que la croissance fabuleuse des deux derniers siècles, c’est une histoire courte. Elle est directement reliée à l’exploitation des énergies fossiles», estime Yves-Marie Abraham, professeur au département de management à HEC Montréal, où il donne depuis 2013 un cours de maîtrise sur la décroissance soutenable.
Ce mouvement, qui a commencé au début des années 2000, se veut une porte de sortie au système capitaliste.
«Nous sommes devenus esclaves de la consommation», illustre le directeur général au Québec de la Fondation David Suzuki, Karel Mayrand. Une situation qui, en plus de contribuer à l’endettement de la population, épuise tranquillement les ressources de la planète, estime-t-il.
«Le système capitaliste nous a fait couper des liens tant entre nous qu’avec la nature», note pour sa part le communicateur scientifique Jérémy Bouchez, qui a co-fondé le Festival de la décroissance, qui tiendra sa deuxième édition annuelle le premier juin au campus MIL de l’Université de Montréal.
L’an dernier, l’événement, qui comporte une série de conférences et d’ateliers, a attiré près de 350 personnes en une journée.
«Montréal est de plus en plus vu comme la plaque tournante du mouvement de la décroissance», souligne M. Bouchez.
Initiatives locales
Jérémy Bouchez se réjouit des nombreuses initiatives locales qui ont été lancées dans les dernières années dans la métropole afin de promouvoir le partage et la réduction des déchets. Il donne l’exemple de l’organisme Solon, qui permet aux résidents d’un secteur de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie de partager entre eux leur véhicule ainsi que des remorques à vélo.
«L’une des propositions majeures de la décroissance, c’est de développer non plus des hautes technologies, mais plutôt des basses technologies qui peuvent être fabriquées facilement par leurs utilisateurs avec des biens qu’on trouve localement», note pour sa part M. Abraham.
La bibliothèque d’outils La Remise, une coopérative montréalaise, permet d’ailleurs l’emprunt et le partage d’outils entre différents citoyens afin de favoriser la construction et la réparation d’objets localement.
«S’il y a plus de personnes qui produisent leurs légumes au lieu d’aller les acheter à l’épicerie, ça rentre dans ce mouvement-là», note pour sa part Louis Marion, un diplômé en philosophie qui a réalisé plusieurs livres abordant le mouvement de la décroissance.
«Les gens sont habitués d’avoir un certain niveau de vie et un certain confort. Dans une situation plus économe, on vivrait dans une plus petite maison et on se promènerait plus en transport en commun.» -Louis Marion
Au-delà des actions individuelles, l’État a également son rôle à jouer afin de contribuer à la réduction de l’empreinte écologique de notre société, soulèvent les intervenants consultés par Métro. Alors que certains proposent la création d’un loi pour contrer l’obsolescence programmée, d’autres réclament des mesures pour restreindre l’affichage publicitaire.
«On va avoir des problèmes, soit de catastrophes écologiques ou de pénuries de ressources, qui vont forcer nos gouvernements à agir», envisage M. Abraham.
«Catastrophe économique»
Le mouvement, s’il récolte de plus en plus d’adeptes, est toutefois loin de faire consensus, particulièrement chez les économistes.
«Ça m’inquiète dans la mesure où je vois beaucoup de gens autour de moi adhérer à ça […] La décroissance, ça rime dans tous les cas avec catastrophe économique», prévient le maître d’enseignement au département d’économie appliquée à HEC Montréal, Germain Belzile.
«La seule façon de nourrir les sept milliards et demi de personnes actuellement, c’est de produire plus», ajoute l’économiste, qui note que la croissance économique a permis dans les dernières décennies de réduire «l’extrême pauvreté» dans le monde, d’augmenter l’espérance de vie et de faciliter «l’accès à l’éducation».
En ce qui a trait à l’épuisement des ressources disponibles que craignent les défenseurs du mouvement de la décroissance, M. Belzile rétorque que les innovations technologiques ont permis dans les deux derniers siècles de diversifier les sources d’énergie utilisées, évitant ainsi une pénurie.
«La seule chose qui m’inquiète, c’est qu’éventuellement, on essaie tellement d’éliminer le capitalisme qu’on mette un frein à ces innovations. Et là, on va être dans le pétrin.» -Germain Belzile
«Dans une société capitaliste, une décroissance, c’est une récession. Mais nous, ce qu’on propose, c’est de mettre en place toutes ces initiatives de société pour qu’on soit capables de sortir tranquillement du système capitaliste», a pour sa part noté Jérémy Bouchez.